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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

Economie de la grande vitesse française

Prévision de trafic et socio-économie

5,5% des voyageurs-kilomètres réalisés en France en 2013 et 61% des voyageurs-km ferroviaires : le TGV, c’est finalement « peu de monde faisant beaucoup de kilomètres ». En nombre de voyageurs, pour un voyageur en TGV, la SNCF en enregistre 3 sur TER-TET et 10 sur Transilien. Le TGV est aujourd’hui majoritairement utilisé pour des besoins extra-professionnels, ce qui renforce l’interrogation sur l’équilibre entre le prix et le temps de parcours.

L’évolution du rapport au prix bouscule le mode de pensée qui a jusqu’à présent prévalu au développement de la grande vitesse en France, fondée sur un fort consentement au prix pour bénéficier de la vitesse. Il en résulte aujourd’hui la perception d’un train cher en France, ce qui est en grande partie inexact comparativement aux voisins européens, dans une comparaison avec le coût marginal de la voiture, ou ceux des nouvelles offres telles le covoiturage ou les autocars de ligne.

Le yield management, parfaitement admis dans le transport aérien, est mal accepté dans le transport ferroviaire alors qu’il permet à une partie de la clientèle de bénéficier de prix réduits. Certes, le plein tarif est d’un niveau élevé mais reste encore accessible par rapport à l’Allemagne ou la Suisse, où la fidélisation du voyageur par la Bahn Card (en Allemagne), l’abonnement demi-tarif voire l’abonnement général (en Suisse), lui permet de bénéficier de tarifs plus avantageux et surtout plus lisibles.

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Erfurt - 23 septembre 2018 - Pas de réservation obligatoire en Allemagne dans les ICE mais attention, le risque est de se retrouver à voyager debout ou sur un strapontin car certaines relations affichent complet. C'est le cas de Berlin - Munich, où la DB doit courir après le trafic. © transportrail

La socio-économie est encore plus théorique au regard du caractère évidemment non engageant des hypothèses... et des évolutions réelles de l'exploitation. La baisse du trafic sur la période 2008-2018, liée à une vision de la SNCF centrée sur le remplissage des trains (négligeant le point de vue du voyageur, intéressé par la fréquence) alors qu'elle portait la capacité des trains de 350 à 510 places en généralisant les rames Duplex (à coûts fixes d'exploitation constants), montre bien les limites de l'exercice.

L’exercice de l’évaluation socio-économique n’est certes pas une science exacte mais permet au moins de pouvoir juger des projets selon une même méthode de comparaison sur la base des instructions ministérielles en monétarisant avantages et inconvénients et en s’appuyant sur la projection d’un scénario de référence « au fil de l’eau ». Compte tenu de la versatilité du marché, l’exercice sur 50 ans devient de plus en plus acrobatique.

Cette étape est considérée trop tardive, au moment de l'enquête publique et donc de l'avant-projet. L'anticiper ne serait pas sans risques puisque les hypothèses techniques seraient encore instables. Accusée parfois d'être adaptée à un objectif politique en lui donnant un vernis scientique, la socio-économie est une discipline plutôt abstraite, qui doit être prise pour ce qu'elle est : un thermomètre relatif plus qu'une vérité absolue. La preuve cette comparaison...

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Coûts, péages et modèle économique

En quelques chiffres, le réseau à grande vitesse français comptait 2036 km d’infrastructures en 2014 dont le coût a été évalué par la Cour des Comptes à 23 MM€ aux conditions économiques de 2010. S’y ajoutent 671 km en cours de réalisation pour un coût de 14,9 MM€ aux mêmes conditions, avec SEA, BPL, CNM (qui n'est pas strictement à grande vitesse) et en intégrant l'achèvement de la LGV Est. Au-delà, l’Etat a annoncé en 2016 que SNCF Réseau ne serait plus appelé au financement des lignes nouvelles. Le financement de l’investissement reposera donc désormais uniquement sur l’Etat et les collectivités locales. Y aura-t-il impact sur les péages ?

Si la LN1 a été entièrement financée par la SNCF, aucun nouveau projet ne pourra plus être financé sans une participation majoritaire, sinon exclusive, de l’Etat et des collectivités locales. L’impact sur la dette des 4 LGV à ouvrir en 2017 aboutit à son doublement en 2030 par rapport aux 44 MM€ de 2015.

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Sur la LN1 - 21 juillet 2013 - La construction de la LN2 intégrant plusieurs ouvrages d'arts majeurs, dont la section souterraine entre Massy et Châtillon, son coût kilométrique en fut impacté, d'autant plus que la longueur totale de l'infrastructure était modeste. © transportrail

Or le coût kilométrique de construction des LGV a été multiplié par 5 en euros constants (valeur 2003) entre LN1 et SEA… Face à ce renchérissement, la hausse des péages, dont le poids dans les charges d’exploitation est passé de 25 à 31% entre 2008 et 2014, devient d’autant plus délicate : si la tarification au coût marginal des TGV serait a priori plutôt bénéfique, elle n’est envisageable qu’à condition de faire supporter la dette contractée par l’Etat, qui n’en a ni l'envie ni la capacité. Bref, la mécanique financière actuelle répartit la pénurie entre différents acteurs.

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La Garde-Adhémar - 13 juillet 2019 - La LGV Méditerranée et le tracé mitterrandien avaient fait les choux gras de la presse compte tenu de l'augmentation vertigineuse de son coût de réalisation... © transportrail

Plus préoccupante, mais moins médiatisée, la hausse deux fois plus rapide des coûts d’exploitation hors péages, de 6% par an depuis 2002 par rapport aux recettes (+3% sur la même période), reste un point de faiblesse majeur du modèle économique de la SNCF. La situation est d’autant plus préoccupante que, depuis 2008, la croissance des recettes ne dépend plus du volume, mais de l’augmentation des tarifs, qui finit par atteindre ses limites compte tenu de la concurrence renforcée de la route et du regain d’attractivité de l’avion face aux prix de la SNCF.

Globalement, il apparaît que 60% des charges d’exploitation sont indépendantes de la vitesse du train, 10% diminuent grâce à la vitesse et 30% augmentent, mais le coût de maintenance d’une LGV à 320 km/h est supérieur de 20% au coût d’une LGV à 300 km/h.

De ce fait, les gains de productivité théoriquement liés à l’accélération des trains, à la productivité du matériel roulant et du personnel, l’assiette de trafic plus large pour l’amortissement des frais fixes, tendent à être consommés par une non-maîtrise des coûts réels de production du service. Les péages ne représentent en réalité qu’une part limitée de cette dérive. Le volet industriel de Ouigo, cherchant à porter à 14 heures la durée de service d’une rame TGV au lieu de 8 heures actuellement, arrive donc quelque peu tardivement… pour un effet des plus limités compte tenu du fait que le low-cost n’est pas compatible avec une logique d’offre cadencée.

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Sur la LN1, au PK155 - 6 août 2016 - Ouigo : un TGV Duplex adapté pour augmenter encore la capacité de transport et une nouvelle gestion du parc de matériel roulant : un laboratoire pour la productivité des moyens, mais quel avenir pour un modèle économique low-cost ferroviaire ? © F. Brisou

Donc si la vitesse est en principe, pour l’opérateur, source de productivité accrue, ce gain n’est d’abord accessible qu’à condition d’avoir examiné l’équilibre économique complet de l’infrastructure (dit autrement, ce qui est bon pour un opérateur ne l’est pas forcément pour SNCF Réseau) et d’avoir un opérateur qui, tant qu’il est en situation de monopole, ne profite pas de la rente de situation pour s’abstenir de maîtriser l’évolution de ses propres coûts.

L’enjeu pour la SNCF est de restaurer une marge opérationnelle suffisante pour absorber, après impôt, la valeur de l’actif nécessaire à l’activité, déduction faite du coût des capitaux mobilisés pour les financer. Or la SNCF souligne qu’une partie de ses résultats part dans une taxe de solidarité des territoires destinée à financer les TET, pour lesquels il conviendrait – selon elle – d’examiner une solution routière sur plusieurs lignes afin de réoxygéner l’économie du TGV… alors même que la SNCF organise sa propre concurrence avec Ouibus… Au fait, le transfert progressif des TET aux Régions aura-t-il un effet sur l’économie du TGV ? En clair, que devient ladite taxe ?

Généralisation des Duplex et taux de remplissage des trains

Le positionnement de l’Etat n’est pas neutre non plus quand il agit en tant que tutelle de la SNCF - puisqu'il n'est pas autorité organisatrice - et impose des orientations politiques en matière de desserte ou d'investissements, comme par exemple des commandes de rames TGV Duplex, cédant à la pression de l'industriel constructeur.

L'augmentation de capacité qui résulte du remplacement d'une rame Sud-Est ou Réseau par une rame Duplex se fait à coût d'exploitation supplémentaire marginal. Par conséquent, prétexter d'une diminution du coefficient de remplissage pour réduire l'offre afin de le maintenir au-dessus des 80% est un argument fallacieux. Le coût de production d'un km-train par TGV n'est guère différent selon que la rame dispose de 350 ou 558 places (toujours un conducteur, 2 agents commerciaux, un agent au bar...). Il peut même y avoir une baisse quand un UM2 est remplacé par une rame simple, ou à la faveur d'une moindre consommation d'énergie...

Pour le voyageur, peu importe la capacité totale du train : ce qui l'intéresse, c'est d'avoir une offre adaptée à ses besoins. Aussi, réduire d'un quart le nombre d'allers-retours sur une relation qui passe d'une rame de 350 à une rame de 510 places (exemple : Paris - Annecy) est un non-sens commercial.

La nouvelle génération de rames est annoncée avec une capacité de l'ordre de 600 places : il est grand temps de rompre avec l'analyse par le taux de remplissage, sinon les LGV vont encore perdre des circulations... ce qui est déjà le cas depuis 2008.

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Sur la LN1, au PK155 - 6 août 2016 - Déjà très capacitaire, le TGV Duplex des années 2020 devra transporter plus de 600 voyageurs. Un fort levier pour optimiser la production capacitaire de l'opérateur... mais une question sur la consistance de la desserte ? © F. Brisou

Quant à des TGV Duplex de plus faible capacité pour former des convois multitranches afin de développer un effet fréquence, ils ne sont pas au programme, d’autant que l’opérateur se montre très réservé sur l’efficacité de ces montages compte tenu de la régularité médiocre des circulations… Sans compter la petite incertitude sur la possibilité réelle de développer une rame respectant une longueur maximale de 400 m en UM3 (soit 133 m en US) tout en restant capable de circuler à 320 km/h en unité simple : les formations courtes à grande vitesse plafonnent le plus souvent à 250 km/h. Question de masse freinée ?

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