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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

Bordeaux Saint-Jean, étendard de la Compagnie du Midi

Toutes les grandes compagnies historiques de chemin de fer avaient leur siège à Paris ainsi que leur tête de ligne, ce qui explique le souci architectural ayant accompagné le développement, aboutissant dans le premier tiers du 20ème siècle aux gares prestigieuses que nous connaissons aujourd’hui, à l’exception de la gare Montparnasse, disparue dans une opération d’urbanisme et repositionnée plus au sud dans un ensemble moderne et réhabilité en 2022.

Toutes… sauf une ! La compagnie des Chemins de fer du Midi était la seule à ne pas desservir la capitale : la sienne, c’était Bordeaux.

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Bordeaux Saint-Jean - 10 novembre 2021 - Le hall des départs, devant lequel passent depuis 2003 le nouveau tramway. © transportrail

L’implantation de la gare du Midi

L’implantation de la gare Bordeaux Saint-Jean – dont le nom rappelle qu’avant 1918, le cours de la Marne qui lui donne accès s’appelait cours Saint-Jean – résulte d’un compromis dans lequel dut intervenir la municipalité pour arbitrer entre la compagnie du Midi, qui voulait s’installer sur les quais de la Garonne au plus près du Pont de Pierre, et l’activité portuaire, qui en voyait évidemment un potentiel redoutable concurrent.

La solution de repli dans le quartier de Paludate donna lieu à l’édification d’une première gare en bois et briques disposant de 5 voies, mises en service en mai 1855 lors d’abord pour y recevoir (le 17 mai) le trafic de la ligne de La Teste, géré de façon éphémère par la gare primitive de Bordeaux-Ségur, puis celui de la section Bordeaux – Langon de la ligne de Cette (orthographe de l’époque), mise en service le 27 mai. Un embranchement juste après le franchissement de la Garonne put ultérieurement relier la gare aux installations portuaires, remontant le fleuve jusqu’aux Bassins à flots du quartier Bacalan.

La centralisation ferroviaire bordelaise

Elle est devenue au fil du temps la gare principale de Bordeaux, supplantant toutes les autres Bordeaux eut en effet de nombreuses gares, autant que de compagnies. La rationalisation débuta très tôt : la gare Ségur, tête de ligne du chemin de fer de La Teste (ligne d’Arcachon), ouverte en 1849, ferma dès 1855.

Le 25 août 1860, la gare Saint-Jean fut raccordée au chemin de fer de Paris à Bordeaux du Paris-Orléans avec l’ouverture de la passerelle Eiffel sur la Garonne. Longue de 509,6 m, ses 14 travées s’appuie sur 12 piles. Les premiers trains réguliers l’empruntèrent à partir du 5 novembre suivant.

La gare de La Bastide, elle aussi, perdit immédiatement de son intérêt, car située en rive droite, alors peu peuplée et moins commerçante. Ne servant qu’aux marchandises et au délestage ponctuel, Bordeaux-Bastide fut finalement abandonnée en 1934 lors de la fusion entre le PO et le Midi.

Prenant de l’importance, Bordeaux Saint-Jean dut rapidement être agrandie. Les travaux débutèrent en 1889 : le nouveau hall des arrivées ouvrit en 1893 et celui des départs en 1897. Le corps central du majestueux bâtiment actuel, long de 300 m, a été conçu et sa réalisation dirigée par Louis Choron et Marius Toudoire. Digne des grands établissements parisiens, la gare a été équipée d’une immense halle, de même longueur, haute de 26 m et large de 57,2 m, composée de 1450 tonnes de métal, couvrant 7 voies. Réalisée par les ateliers Daydé et Pillé, elle fut longtemps une des plus grande d’Europe. L’ensemble a été inauguré le 20 février 1898 : la « signature » de la gare est évidemment cette grande carte, aujourd’hui en partie amputée par des remaniements postérieurs, mettant sous les yeux du public l’ensemble du réseau du Midi à son apogée.

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Ambiance début du siècle dans la gare du Midi : les nombreuses voitures à portières latérales d'aspect assez primitif occupent les voies principales mais aussi des remisages situés face aux quais. Notez aussi les voies perpendiculaires au pied de la halle.

Après avoir entraîné l’abandon – progressif – de Bordeaux-Bastide, la nouvelle gare Saint-Jean provoqua celui de la gare de Bordeaux-Etat, située elle aussi en rive droite, juste en face de la gare PO.

Traction électrique et grandes heures ferroviaires

L’essor du chemin de fer fit de Bordeaux Saint-Jean une gare stratégique pour les grands rapides et express, notamment avec le développement du tourisme balnéaire, suscitant la création de liaisons au long cours vers le golfe de Gascogne.

Les Chemins de fer du Midi s’intéressèrent rapidement aux bénéfices de la traction électrique : ne disposant pas de mines de charbon en nombre et qualité suffisants, la compagnie chercha à tirer profit des nombreux cours d’eau pour produire de l’électricité. Après les expérimentations dès les années 1910 sur la transversale pyrénéenne et Perpignan – Villefranche-de-Conflent, le Midi, devant veiller à ses dépenses, privilégia une stratégie d’investissements pour réduire le recours à la traction à vapeur. Alors qu’elle avait réussi à mettre au point une alimentation avant-gardiste en 12 kV 16 2/3 Hz, il lui fallut se conformer à la commission nationale d’harmonisation, qui avait décidé une tension de 1500 V continu pour le réseau ferroviaire français.

De 1927 à 1938, les lignes Midi de Bordeaux à Hendaye et à la Pointe-de-Grave furent ainsi équipées. Le Paris-Orléans acheva ainsi en 1938 l’équipement de la ligne venant de Paris via Orléans et Tours. La continuité de la traction électrique entre Paris et la frontière espagnole était alors effective. Restaient notamment en traction vapeur la ligne Etat vers Saintes et Nantes, ainsi que la section Bordeaux – Montauban, dont les études d’électrification avaient été réalisées, mais sans obtenir le financement nécessaire. Il fallut attendre 1980 pour que la transversale Bordeaux – Marseille soit complètement électrifiée. 

Entre temps, l’exploitation de la gare a été modernisée, avec l’amélioration de la signalisation, du block Banjo au block automatique lumineux, en passant par l’attraction locale du block Paul & Ducousso.

Grande vitesse et transformations de la gare

Le développement du réseau à grande vitesse vers le sud-ouest motiva deux grandes séquences de transformation de la gare Saint-Jean, classée Monuments Historiques en 1984.

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Le hall des arrivées en 1981 avec un espace largement occupé par les voitures. A cet emplacement se trouve aujourd'hui la station de régulation des autobus urbains, celle des taxis... et évidemment le tramway. (archives SNCF)

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Des voies bien occupées en 1982 : voitures Grand Confort pour un TEE vers Paris, Corail pour les autres rapides et express, dont l'un tracté par une BB9300 toulousaine et Z2 pour le trafic omnibus. Archives SNCF

Premier temps en 1987, pour l’arrivée du TGV Atlantique 3 ans plus tard, concernant le hall des départs. Il est alors devenu une mezzanine surplombant un nouvel espace, doté de commerces, situé entre le parking souterrain côté rue Charles Domercq et les accès aux quais. En 1992, le passage sous les voies débouchait côté Belcier, mettant fin à l’hémiplégie de la gare pour augmenter la capacité de stationnement dans un quartier alors dégradé, mais objet de convoitises car constituant une importante réserve foncière de transformation urbaine.

Le second temps débuta en 2010 avec les travaux de réaménagement de l’espace compris entre les halls de départ et d’arrivée. Une galerie intérieure a été réalisée, le long de la voie 1, dotée de commerces et d’une brasserie. Le salon d’honneur du Midi a été réhabilité en salle d’attente.

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Le hall des départs, avec la carte du réseau du Midi. La cour anglaise a été aménagée en 1987, améliorant significativement les conditions de circulation dans la gare. © transportrail

Il se prolongea avec les chantiers de rénovation de la halle, réalisés en maintenant l’exploitation à l’aide un d’impressionnant échafaudage de 3000 tonnes au-dessus des voies, permettant aux ouvriers de travailler au-dessus des trains, au prix d’une sévère réduction de la capacité de circulation sur les quais et d’une ambiance très particulière. Accompagné d’une rénovation de l’éclairage, ce chantier a magnifié l’ouvrage et transformé l’ambiance sur les quais (même si le bleu finalement retenu fait un peu « layette »).

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Bordeaux Saint-Jean - 25 septembre 2015 - La voie sur dalle est toute neuve. Il fallait bien photographier l'immense échafaudage permettant de maintenir l'exploitation pendant les travaux de la verrière. Ambiance particulière ! © transportrail

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Bordeaux Saint-Jean - Les travaux sont finis ! Le résultat est remarquable tant l'ambiance est transformée. Il y a bien longtemps qu'on n'avait pas vu aussi clair dans cette gare dont l'éclairage a été également améliorée pour abandonner la lumière jaunâtre peu agréable des années 1960-1970. © transportrail

L’ouverture de la gare vers la Garonne a été l’autre volet du projet, lié à l’augmentation du trafic ferroviaire mais aussi à l’intégration de la gare dans le projet urbain Euatlantique. La nouvelle entrée côté Belcier constitue un vaste espace – 2500 m² pour les voyageurs, 1800 m² de commerces – assez dénudé et pas vraiment – encore – aussi riche en fonctionnalités que le bâtiment historique. Le stationnement a été intégra dans l’ouvrage sur 6 niveaux au-dessus du sol, avec 870 places pour les voitures et 400 pour les vélos. 

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Bordeaux Saint-Jean - 15 décembre 2017 - La nouvelle entrée ouest est très fonctionnelle mais a besoin d'être un peu plus animée. Notez aussi la protection pour le moins rudimentaire de la trémie d'escaliers : c'est la nouvelle mode... © transportrail

Enfin, depuis 2003, les tramways sont de retour devant la gare Saint-Jean, améliorant la desserte de la gare. En 2010, la circulation des autobus a été repensée et organisée notamment autour d’une station parallèle à celle du tramway pour les principales lignes (actuellement 1, 9 et 16).

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Bordeaux Saint-Jean - 8 novembre 2021 - Devant le bâtiment des arrivées, la station de tramway et des principales lignes d'autobus, pour une intermodalité efficace. Cependant, la gare reste d'accès moyen, car il n'y a qu'un seul itinéraire de tramway par les quais. Une ligne de BHNS devrait proposer un accès par les cours, mais elle risque d'être sous-capacitaire ! © transportrail

Améliorer l’exploitation de la gare

En lien avec l’augmentation du trafic, mais pas seulement TGV, la gare s’est d’abord enrichie en 2006 de 3 nouvelles voies (A, B et C), en impasse, sur le flanc sud, pour accueillir les trains régionaux vers Arcachon, Hendaye et Mont-de-Marsan.

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Bordeaux Saint-Jean - 29 juin 2016 - Les trois voies supplémentaires en impasse côté sud ont été mises à profit pour soutenir le développement du trafic régional en Aquitaine. Les AGC B81500 assurent les liaisons vers Mont-de-Marsan et le Médoc. © transportrail

La modernisation des équipements d’exploitation a été concrétisée par l’installation en février 2008 du nouveau poste d’aiguillage informatisé dans l’ancien bâtiments des Ambulants du Midi, libéré par La Poste : un bel exemple de revalorisation du patrimoine, contribuant à amplifier le mouvement de transformation des abords de la gare, encore marqués par des années de prédominance automobile.

L’opération phare, anticipant l’ouverture de la LGV SEA en 2017, fit officiellement « sauter le bouchon nord de Bordeaux » le 8 mai 2016 avec la mise à 4 voies de la section Cenon – Bordeaux : engagé en 2010, ce chantier en milieu urbain a remplacé la halte de Bordeaux-Benauge par une nouvelle gare à Cenon en correspondance avec la ligne A des tramways et a évidemment entièrement remanié le plan de voies d’accès à la gare Saint-Jean, avec accès à 60 km/h.

La passerelle Eiffel, incarnation du goulot d’étranglement du trafic n’accueille depuis plus de circulations ferroviaires, mais reste toujours en place du fait de son statut « iconique » : elle pourrait être transformée pour les piétons et les vélos. Pour mémoire, elle était flanquée à l’origine d’un cheminement piéton côté aval.

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Bordeaux - 28 juin 2016 - Le nouveau franchissement à 4 voies de la Garonne a été implanté en aval de la passerelle Eiffel, toujours debout en attendant de statuer sur une éventuelle reconversion. © transportrail

Entre renouvellement patrimonial des installations, modernisation des équipements et préparation de la mise en accessibilité de la gare, les voies 1 à 6 abandonnèrent la pose classique sur ballast au profit de la voie sur dalle béton. Par la suite, à partir de 2022, le rehaussement des quais a été engagé. Pour la voie 7 et son quai, il fallut renoncer à la solution sur béton, en raison du voisinage des massifs d’appui de la halle. C’est aussi pour cela que le quai a été relevé en utilisant des matériaux préfabriqués sur une structure métallique.

Cependant, l’exploitation de la gare Saint-Jean reste complexe avec beaucoup de trains faisant terminus et une forte réduction de l’offre entre les heures de pointe et les heures creuses, multipliant les échanges entre la gare et les voies de remisage. La proportion de circulations à vide dans la gare est plus élevée qu’à Marseille Saint-Charles, pourtant en cul-de-sac. L’exploitation considère qu’un train ne peut stationner plus de 20 minutes en gare. Des exceptions à la règle existent, notamment pour Ouigo, qui peut rester parfois plus de 90 minutes en gare, accaparant une voie longue et des contraintes sur l’accès à la voie desservie par le même quai. L’hypothèse d’un Eurostar Londres – Bordeaux aurait entraîné la sanctuarisation de la voie 1 du fait de l’aménagement spécifique pour les contrôles douaniers.

Le développement de la desserte périurbaine, préfigurant le RER bordelais, a conduit à organiser la diamétralisation des dessertes Bordeaux – Libourne et Bordeaux – Arcachon et à étudier une mesure similaire entre les dessertes de Saint-Mariens et de Langon.

L’augmentation du trafic nécessitait de nouvelles installations pour la maintenance du matériel roulant, installées au sud de la gare : côté Garonne, les voies accueillant les TGV et les Trains d’Equilibre du Territoire ; dans le dépôt reconverti, le site pour le matériel régional.

Enfin, GPSO, le projet de LGV de Bordeaux vers Toulouse et Dax, devrait lui aussi entraîner des transformations de l’exploitation de la gare, liées à l’augmentation de capacité sur la section Bordeaux – Saint-Médard-d’Eyrans qui bénéficier aussi – surtout ! – au RER, avec l’étude de voies supplémentaires côté Belcier pour améliorer la gestion du trafic, compte tenu d’une augmentation soutenue du trafic, allant bien au-delà de « l’effet TGV » : la forte dynamique du trafic régional résulte au moins autant du développement de la desserte impulsé par la Région.

Ah, les portillons bordelais…

En 2015, la SNCF décida dans la précipitation, d’installer des portillons de contrôle des titres de transport à l’entrée des quais de certaines grandes gares. Pour mémoire, les tickets de quai avaient disparu en 1978. Dans la plupart des cas, les équipements ont été installés dans le hall, mais à Bordeaux (comme à Nantes), ils ont été positionnés sur les quais compte tenu du schéma de circulation. Comme les passages souterrains sont exigus, le matériel a été implanté en haut des escaliers, avec installation de « grilles de poulailler » pour canaliser les flux. On passera sur le fait que le gestionnaire d’infrastructure a été mis devant le fait accompli et sur l’absence de consultation de l’architecte des Bâtiments de France si pointilleux quant à la couleur des structures métalliques de la halle.

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Bordeaux Saint-Jean - 15 décembre 2017 - L'accès aux quais utilisés par les trains longue distance est désormais dépendant de la présentation du billet sur ces portillons, dont le fonctionnement est loin d'être efficace, imposant la présence d'agents en complément. L'effet d'engorgement en entrée et en sortie ralentit la circulation des voyageurs alors qu'il conviendrait précisément de faciliter l'accès aux quais et aux trains ! © transportrail

L’accès à la voie 1, en principe direct depuis le bâtiment principal, a perdu en simplicité. Pour les voies A, B et C côté sud, les correspondances sont rendues encore un peu plus complexes par les évolutions de cheminement imposées.

Conséquence, des délais d’embarquement qui ont tendance à augmenter et des correspondances beaucoup moins faciles : puisque l’affichage des voies de départ peut être tardif, les voyageurs rejoignent le hall, contribuant à l’encombrer, et l’emprunter en sens contraire une fois l’information révélée. Et le fonctionnement de ces portillons est parfois – souvent ? – capricieux, allongeant de fait le délai d’embarquement, au point que la présence d’agents de la gare s’ajoute à ces équipements pour essayer de palier leurs piètres performances… mais en parallèle, certains accès sont condamnés pour limiter le recours aux agents en complément.

Ou comment les améliorations réalisées moyennant d’importants financements publics ont été en grande partie neutralisées par des dispositifs à l’utilité restant à démontrer (hormis allonger les délais d’embarquement et de correspondance).

Pour aller plus loin sur les gares bordelaises, un autre dossier de transportrail, consacré à l'ancienne gare Saint-Louis.

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