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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

Avenir des TET : le rapport Duron

Ce fut un rapport de plus pour le député du Calvados : après avoir proposé au travers de Mobilités 21 une réorientation des grands projets d’infrastructures, Philippe Duron a été chargé d’une mission périlleuse sur le devenir des Trains d’Equilibre du Territoire, alias TET, appelés Intercités par l’opérateur. Son rapport a été transmis à l’Etat en mai 2015.

Mais où est l’Etat ?

La première partie a dressé un diagnostic acide de la gouvernance, ou plutôt de l’absence de gouvernance, de la convention Etat – SNCF signée en 2010 : en résumé, l’Etat laisse faire la SNCF et il n’y a pas de réel changement les années 1990, quand certains trains déjà jugés non rentables avaient été qualifiés d’Express d’Intérêt Régionaux et intégrés au périmètre des premières conventions TER. En 2004-2005, une manifestation des élus régionaux à La Rochelle en marge de l’université d’été du PS avait protesté contre les annonces de suppression de trains par la SNCF.

En 2012, la situation plus que critique, traduit l’incapacité de l’Etat à assumer sa mission d’autorité organisatrice et d’aménageur du territoire : la principale faiblesse provient naturellement du financement. Le système mis en place revient à faire financer par la SNCF à hauteur de 94% la caisse chargée de lui compenser le déficit des TET, au moyen de taxes sur les activités de la branche Voyages d'alors (les TGV).

En 2011, à l’issue des Assises du Ferroviaire, l’ancienne ministre de l’écologie, Nathalie Kosciusco-Morizet, avait proposé l’expérimentation de la mise en délégation de service public de ces trains. Peine perdue. Le torpillage de l’écotaxe organisé par Ségolène Royal a coûté plus d’un milliard d’euros au contribuable et prive le secteur ferroviaire de ressources dont il a besoin pour moderniser le réseau et le matériel roulant, composé de voitures Corail et de locomotives approchant alors de la fin de vie.

Bref, l’Etat est fautif par manque de stratégie, par dogmatisme : l’ouverture contrôlée du marché a été trop longtemps écartée, et probablement par une profonde méconnaissance du sujet.

La SNCF laisse filer les coûts

L’opérateur n’a pas été épargné : le rapport Duron appuie là où ça fait mal. Si la convention de financement n’incite guère la SNCF à faire des efforts, de là à laisser filer les coûts dans de telles proportions, il n’en fallait pas tant pour affiner l’audit des comptes. Ainsi, la subvention publique par voyageur transporté a augmenté de 28 % sur la seule période 2012-2014 soit la moitié de la durée de la convention. Certes, le trafic est en baisse, parce que l’offre est indigente sur nombre d’axes en proie à la concurrence de la route (covoiturage aidant), mais les coûts de production ont augmenté de 60 % en 9 ans. La projection du déficit d’exploitation d'ici 2025 atteint 500 M€ en 2025 contre 335 M€ prévus en 2015.

La SNCF a été sans surprise épinglée pour ses carences en matière de productivité, avec une comparaison osée avec les CFF qui ne sont pourtant pas réputés pour être particulièrement bon marché, en rappelant que les réorganisations internes à l’opérateur suisse ont abouti à une baisse de 13 % des contributions publiques tout en développant le niveau d’offre afin de mieux répartir les coûts fixes de production.

Elle a aussi été taclée sur son manque de transparence envers la tutelle, sur l’opacité de sa compatibilité et de ses données commerciales, arguant étrangement du secret des affaires dans une situation alors de monopole total.

Ah bon ? Il y a encore des voyageurs dans les trains ?

Surprise : en dépit d’une confidentialité certaine, pas moins de 6027 formulaires ont été récoltés en ligne par la commission Duron, dont 96 % émanant de particuliers, le plus souvent des usagers, des associations et sans aucun doute des experts du métier. Il en est ressorti notamment trois enseignements : l’offre manque de lisibilité, la qualité de service est indigente et surtout, les voyageurs ne font du temps de parcours que leur troisième priorité avant le prix et le confort. 

De quoi confirmer une mutation progressive du paradigme du chemin de fer qui ne doit pas chercher la vitesse à n’importe quel coût pour la collectivité et l’usager, mais un compromis rendant attractif le produit ferroviaire sur ces critères. Le consentement au prix pour avoir la vitesse diminue, et il suffit de mesurer le succès du covoiturage pour comprendre que le voyageur occasionnel sait adapter son déplacement à un temps de parcours qui lui permet de minimiser la dépense.

Situation différente pour les utilisateurs quotidiens qui veulent évidemment maîtriser leur temps de transport domicile-travail : pour eux, que le trajet dure 1h ou 1h08 n’est pas une donnée fondamentale. Ce qui compte, c’est la garantie du respect de l’heure de départ et de l’heure d’arrivée, afin de ne pas mettre à plat toute une organisation de la transition entre la vie privée et le temps de travail. La SNCF affichait en 2012 un taux de 85 à 90 % de ponctualité de ses trains Intercités : les associations d’usagers ont aussi fait leurs comptes, leurs chiffres étant souvent inférieurs de 20 à 25 points, surtout en pointe, précisément quand la ponctualité est la plus attendue.

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Maromme - 7 juin 2013 - Si, comme le dit la SNCF, les trains sont en surabondance de capacité sur Paris - Rouen - Le Havre, pourquoi engager du matériel à deux niveaux ? La réalité est toute autre et heureusement, la Commission Duron ne s'y est pas trompée. © transportrail

Fort heureusement, la Commission n’a pas pris en compte le discours de la SNCF sur la surabondance de l’offre TET par rapport à la demande, qui tournait à la caricature. En revanche, l'année de référence, 2013, conduit à des contresens qui nuisent à la qualité du rapport. Lyon - Bordeaux est jugé hors de prix, à 275 € de subvention par voyageur... ce qui est par nature inexact : le train a été supprimé en décembre 2012 !

TET : un panel de produits différents

Le souci de clarifier ce que sont les TET est à mettre au crédit de ce rapport qui définit 5 catégories de trains :

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Bramafan - 23 février 2014 - Les BB67435 et BB67578 ne sont pas ménagées, en dépit de leur âge avancé, pour emmener les 14 voitures du train de nuit Paris - Briançon. Jugé désuet, ce produit reste la meilleure solution pour optimiser les courts séjours et leur budget global en évitant au moins une nuit d'hébergement sur place. © R. Lapeyre

Le rapport précise que chacune de ces catégories suppose une démarche adaptée à la typologie de clientèle pour spécialiser les offres. Il suggère aussi d’adapter les conditions contractuelles afin de ne pas figer dans un moule unique, et donc inadapté, des produits aussi contrastés.

Des propositions volontaristes... ou inacceptables

Plus qu’un long discours, transportrail vous propose le tableau suivant résumant le niveau d’offre actuel, la proposition cible du rapport Duron et les perspectives 2017 présentées par la SNCF le 27 janvier 2015 lors de son audition par les membres de la Commission.

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On retient principalement le souci de renforcer les dessertes sur les axes à fort potentiel, notamment dans le bassin parisien, sur la transversale sud, sur Nantes – Lyon et Nantes – Bordeaux. Dans la première catégorie, le cadencement à l’heure serait quasiment généralisé pour rendre l’offre plus attractive et surtout assurer une permanence du service. Sur la liaison Bordeaux – Nice, si la proposition abandonne le tronçon Marseille – Nice desservi une seule fois par jour, l’augmentation d’offre proposée semble relever d’une véritable politique d’aménagement du territoire et de mise en réseau des grandes métropoles du sud (Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Marseille). Sur Nantes – Lyon, le passage de 2 à 4 allers-retours est également à saluer tout comme la généralisation de l’amorce des trains à Nantes (qui n’a lieu en 2015 qu’en fin de semaine). Sur Nantes – Bordeaux, la création d’un 4ème aller-retour et surtout l’amorce systématique à Rennes va dans le bon sens, et devrait même aller plus loin : entre les cinquième et huitième agglomérations du pays, un cadencement aux deux heures serait totalement légitime.

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Montrichard - 30 juillet 2014 - Les voitures Corail sont revenues sur Nantes - Lyon après la location d'X72500 aux Régions. Les BB26000 assuraient la traction de Nevers à Nantes. Les Coradia Liner ont pris la relève en décembre 2017 et le troisième aller-retour, disparu au début des années 1990, a été rétabli en décembre 2022. A quand le quatrième ? © transportrail

Sur POLT, le rapport a souhaité clairement mettre en échec le projet de LGV Poitiers – Limoges, que Philippe Duron avait dénoncé dans Mobilités 21 (qui n’a pas été suivi d’effets), avec une desserte restructurée favorisant la liaison vers Limoges et maintenant une desserte au sud de Brive pour laquelle l’exploitant SNCF suggérait une suppression. Sur Paris – Clermont-Ferrand, le rapport a proposé 12 relations contre 8 : de quoi satisfaire les élus auvergnats, mais de là à leur faire admettre que le volume d’offre est plus important que le temps de parcours...

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Montgeron - 15 avril 2015 - La BB26015 emmène l'Intercités Paris - Nevers. L'axe du Bourbonnais est plutôt bien traité par le rapport puisqu'il maintient l'offre de cabotage Paris - Nevers, qui serait totalement transférée aux Régions (c'est déjà en partie le cas), et préconise une augmentation de 50 % de la desserte vers Clermont-Ferrand. © transportrail

Sur le Bassin Parisien, les évolutions d’offre suggérées sont toutes positives : on citera pour exemple l’ajout de 2 allers-retours vers Amiens, de 4 allers-retours vers Bourges et la restauration d’une offre décente de Paris – Tours, sans toutefois renouer avec la densité de service d’Aqualys, puisque la Commission esquisse 8 allers-retours contre 4 depuis l’horaire 2012.

Exceptions : la Normandie d’abord, dont Philippe Duron est élu. Ont été préconisées des réductions de desserte peu compréhensibles : 10 % d’offre en moins sur Paris – Rouen, le passage de 7 à 6 allers-retours sur Paris – Cherbourg et de 5 à 4 allers-retours sur Paris – Granville. Autre territoire perdant, la Franche-Comté avec seulement 2 allers-retours entre Troyes et Belfort. Sur ces deux derniers axes, le seuil minimal de trafic n’est plus atteint.

Au chapitre des propositions inacceptables et incompréhensibles, le report sur route de la liaison Caen – Tours, alors que les Régions assurent l’essentiel du service de part et d’autre du Mans. La recomposition du service, largement souhaitée par Centre, Pays-de-la-Loire et Normandie, en aurait été facilitée et à coût particulièrement faible pour les trois autorités organisatrices.

Même commentaire à propos du report intégral sur route de la relation Toulouse – Hendaye. Là encore, un transfert aux Régions aurait été logique, d’autant qu’elles assurent déjà la majorité de l’offre, de Bordeaux à Tarbes et de Toulouse à Pau. L’objectif est peut-être de leur faire refuser l’exploitation par autocar et leur imposer un transfert des charges sans la garantie de recevoir les moyens ? Pourtant, la recomposition de cette transversale par l’addition des moyens TER et TET pourrait aboutir favorablement à un service lisible et attractif.

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Pontis de Rivière - Août 2011 - 6 voitures Corail emmenées par la BB7229 assurent une relation de la transversale pyréenne entre Bayonne et Toulouse. Une relation vouée à être transformée en autocars ? Mais comment compenser les 450 places offertes par ce train avec des cars de 50 places ? © S. Costes

Enfin sur deux lignes emblématiques, les propositions sont contrastées : transfert aux TER du Cévenol Clermont – Nîmes, mais report sur route de l’Aubrac Clermont – Béziers.

Quid des trains de nuit ?

En 2015, la SNCF considérant que le train de nuit est un produit du passé, la Commission Duron a proposé de maintenir certaines relations vers des territoires à l’écart des grands axes et où les offres de transports diurnes ne sont pas adaptées. C’est ainsi que seraient sauvées les relations vers Briançon, Latour-de-Carol et Rodez. Pourtant, la première est mariée de Paris à Valence à une tranche Nice, tandis que les deux autres accueillent aussi des tranches Hendaye et Cerbère. Des opportunités subsistent, mais le produit est mal vendu et doit bénéficier d’un rattrapage sur le service à bord.

Quel pilote ? Quel opérateur ?

Le rapport n’a donc proposé que quelques transferts aux Régions : la question du transfert des ressources budgétaires est délicate puisque Bercy y est opposé. Cependant, c’est la demande des Régions, qui ont su faire preuve de volontarisme au moment de la décentralisation. L’Etat resterait donc autorité organisatrice, mais le rapport a pointé du doigt les insuffisances de la gestion actuelle.

La Commission a proposé de mettre en place des contrats de délégation de service public adaptés aux différentes lignes : sur les axes à fort potentiel, les conditions seraient relativement souples et laisseraient une certaine marge d’autonomie à l’opérateur. Inversement, sur les liaisons pendulaires et les transversales, l’opérateur serait strictement encadré sur les charges, les recettes, la production et la qualité du service.

Pour transportrail, l’horizon serait différent car compte tenu de ce qui a été déjà transféré aux Régions, les marges de manœuvre sont relativement limitées pour l'Etat sans que celles-ci ne s'interrogent sur cette concurrence faite aux TER interrégionaux qu'elles supportent.

Pour les trains de nuit, le potentiel est réel, mais négligé par dogmatisme. Il faut évidemment cibler les bons axes, mais la longue distance n'est pas l'apanage du TGV ou de l'avion.

On rappellera qu’en Allemagne, après libéralisation, le trafic en voyageurs-kilomètres a augmenté de 55 % en 15 ans alors que les trains-kilomètres n’ont progressé que de 26 %, le tout en diminuant la contribution publique de 26 %. Mais ces chiffres heurtent la sensibilité des esprits croyant encore que le monopole est une garantie d’efficacité.

Et le matériel roulant ?

Si la question du financement a été pudiquement éludée pour ne pas mettre en exergue les fautes du gouvernement, notamment avec le pitoyable naufrage de l’écotaxe, la Commission a esquissé une stratégie de renouvellement du matériel roulant proche de celle alors suggérée par Régions de France : Régiolis et Régio2N sont des marchés ouverts, disponibles rapidement, et dont les plateformes peuvent être aisément adaptées aux besoins des trains Intercités. Au passage, on notera que certaines diminutions d’offre en volume pourraient être compensées en place offerte par le recours à du matériel à deux niveaux, pris en référence pour le Bassin Parisien. Outre les axes nécessitant du matériel bimode, la plateforme du Régiolis transparaît dans les propositions pour POLT, Paris – Clermont-Ferrand et la transversale sud. Mais elle semble inadaptées à de telles liaisons : une « amicale pression » d’Alstom ?

Et maintenant ?

Ce rapport abordait un sujet assurément difficile. Il a eu le mérite de clarifier les responsabilités dans la situation des trains, mais son analyse est tout de même un peu biaisée, en s'appuyant sur des données 2013 qui auraient mérité un peu plus de hauteur de vue, et en laissant une large place aux partisans de l'autocar, à commencer par certains chercheurs (qui avaient soutenu par le passé d'autres mauvais chevaux comme le tramway sur pneus). De même, il ne dit pas assez clairement que le manque de trafic aujourd'hui n'est pas une fatalité mais le résultat de carences commerciales.

Mais quels seront des enseignements tirés par le gouvernement ? On a bien vu qu’après le précédent rapport de Philippe Duron, Mobilités 21 réexaminant le SNIT, l’Etat n’a guère écouté le collège parlementaire. L’écotaxe a disparu, la transition énergétique oublie les transports et la DUP de la LGV Poitiers – Limoges a été signée. Avec les TET, le gouvernement a peut-être droit à une session de rattrapage. Saura-t-il la saisir ?

Vers le chapitre 3 : le rapport de la Cour des Comptes sur les TET

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