Albula, Bernina : le train aux sommets

D’abord un précis grammatical : il faut dire LE chemin de fer rhétique. Ensuite un peu d’étymologie : rhétique rappelle un des dialectes du canton des Grisons que dessert le réseau, le rhétoromanche.

Ceci étant dit, difficile de rester objectif avec ces deux lignes : le chemin de fer rhétique jouit d’une notoriété mondiale, non seulement parmi les amateurs et les professionnels du rail, mais aussi des touristes amateurs de montagne… ou plus simplement de paysages à couper le souffle. Le classement au patrimoine mondial de l’UNESCO, en 2008, témoigne de cette aura ferroviaire mondiale !

Le canton des Grisons, d’une superficie de 7109 km², est peuplé d’un peu moins de 200 000 habitants. La société anonyme des chemins de fer à voie étroite de Landquart à Davos (LD) a été fondée par un ancien capitaine au long cours, reconverti en hôtelier à Davos. La ligne ouvrit en deux étapes de Landquart à Klosters le 9 octobre 1889 et de Klosters à Davos le 20 juillet 1890. Le LD mena à bien la réalisation des lignes de Coire à Thusis, le 1^er juillet 1896, et de Coire à Landquart, le 1^er septembre 1896. L’année suivante, la loi cantonale sur les chemins de fer donnait naissance au chemin de fer rhétique (RhB).

Alp Grüm - 19 juin 2015 - 20 minutes d'arrêt pour le croisement, ce qui permet aussi de prendre l'air (sans oublier sa petite laine, car vous êtes tout de même à plus de 2000 m...) et de profiter des splendides paysages alpins. Et dire que tout a commencé de la reconversion d'un marin hollandais (lassé du plat pays ? de la vie au long cours ? tombé amoureux de la montagne ? mystère...) ! © transportrail

Coire - 18 juin 2015 - Les RhB et les CFF font en partie gare commune : activité intense avec trois trains du RhB au départ, tous composés d'au moins 5 voitures : à 17h45, c'est la pointe ! © transportrail

Coire - 19 juin 2015 - La desserte fine de Coire à Thusis est encore assurée par les Beh 500, qui elles aussi desservent la gare commune RHB - CFF, mais les Allegra leur succèdent progressivement. © transportrail

La ligne de l’Albula

Longue de 89 km, la ligne de l’Albula entre Coire et Saint Moritz ouvrit le 1^er septembre 1904. Elle comprend 39 tunnels et 55 viaducs, dont les ouvrages les plus remarquables des RhB. Partant de Thusis à 641 m d’altitude, elle franchit par un tunnel de 5865 m le col de l’Albula à 1815 m d’altitude avec des rampes de 35 pour mille. C’est aussi sur la ligne de l’Albula que se trouve le célébrissime viaduc de Landwasser, long de 136 m et d’une hauteur de 65 m. Entre Filisur et Bergün, la ligne prend de la hauteur au prix d'un parcours hélicoïdal enchevêtré dans la montagne : 12 km d'infrastructures pour 5 km à vol d'oiseau, faisant le bonheur des amateurs de randonnée ferroviaire. La ligne de l’Albula a été électrifiée en 11000 V 16 2/3 Hz le 15 octobre 1919.

Landwasserbrücke - 19 juin 2015 - Le plus connu des viaducs du réseau, vu depuis l'intérieur du train dont vous aurez au passage noté la longueur (6 voitures panoramiques en plus de l'automotrice Allegra) et la propreté des vitres ! © transportrail

Pontresina - 21 février 1979 - Une navette Samedan - Pontresina assurée par une ABeh 4/4 tractant une remorque et un fourgon : on aperçoit dans le compartiment de première classe en tête les tétières blanches : en dépit de l'allure modeste du matériel, le confort n'est pas oublié... © A. Knoerr

Le choix du courant alternatif constituait à l’époque un véritable défi car la technique était encore peu utilisée, pas tout à fait maîtrisée et il fallait de surcroît composer avec un environnement de haute montagne compliquant l’acheminement du courant. Le pari fut tenu.

Samedan - 24 septembre 2010 - Arrivant de Poschiavo, ce train régional parvenu à son terminus de Samedan convoyait en outre plusieurs wagons de marchandises : "les tâches ménagères ne sont pas sans noblesse...". © transportrail

La loi cantonale prévoyait également la construction d’une antenne de 5 km entre Samedan et Pontresina, reliant la Haute Engadine à Coire par l’Albula. Ouverte en 1908, elle constitua le seul moyen d’accès à l’Engadine jusqu’en 1999, année de l’ouverture de la Vereina, qui permit de raccourcir considérablement les trajets. Elle était aussi destinée à la connexion avec la ligne de la Bernina, réalisée sur initiative privée.

Coire - 18 juin 2015 - A Coire, l'arrivée de la ligne d'Arosa s'effectue en partie par la voirie, mais en Suisse, faire circuler en pleine ville des trains de 8 voitures tirant 3 ou 4 wagons de marchandises n'effraie pas l'administration ! Bien que ne faisant pas partie des lignes de la Bernina et de l'Albula objets du présent dossier, il nous fallait quand même vous présenter cette "particularité"... ce qui vous donnera une raison de plus de flâner dans les rues de Coire ! © transportrail

De l’Albula à la Bernina par la Haute Engadine

Engagée en 1908, la construction du Berninabahn (BB), long de 60,6 km, fut engagée par les deux extrémités et achevée le 5 juillet 1910, avec le franchissement du col à 2256 m d’altitude : la ligne de la Bernina est encore aujourd’hui la seule à franchir un col alpin à ciel ouvert à plus de 2000 m. En dépit des chutes de neige abondantes et des congères formées par les vents violents, les trains doivent le franchir au titre de la desserte de l’extrémité sud du canton, située à plus de 4 heures de sa capitale, Coire.

Ospizio-Bernina : n'oubliez pas la petite laine... © transportrail

La ligne de la Bernina rattrape en adhérence pas moins de 1800 m en seulement 39 km avec des rames de 70 pour mille de façon quasi continue entre Poschiavo et Ospizio Berninan, marquant le sommet de la ligne à 2253 m.

Ospizio Bernina - 24 septembre 2010 - Arrivée du train mixte marchandises-voyageurs Poschiavo - Samedan dans la gare sommitale de la ligne dans une ambiance glaciale (d'où la qualité moyenne de cette photo...). © transportrail

Alp Grum - 2 avril 2017 - Négociation de la courbe très serrée aux voies resserrées - mais non imbriquées - et ces panoramas à couper le souffle Le train régional St Moritz - Tirano est emmené par 2 ABe série 50 : la cohabitation entre matériels modernes et anciens fait le bonheur d'amateurs déjà ravis ! © transportrail

Les trains entament ensuite une descente toute aussi vertigineuse, avec un demi-tour en rampe de 70 / 1000 à Alp Grüm, procurant un panorama exceptionnel aux touristes, qui bénéficient du délai de croisement entre les deux trains pour admirer les paysages alpins et la prouesse ferroviaire. La descente vers Tirano comporte une dernière prouesse : le viaduc hélicoïdal de Brusio.

Brusio - 19 juin 2015 - Non, ceci n'est pas un train miniature ! C'est l'autre incontournable du chemin de fer rhétique : la boucle de Brusio est ici vue depuis le train grâce à la propreté des fenêtres (qui a dit "on l'saura !" ?) et à l'appareil photo avec objectif grand angle... © transportrail

La ligne de la Bernina était conçue dans l’optique d’une exploitation uniquement en hiver, mais devant le succès de fréquentation, la ligne fut exploitée à l’année dès 1913. Le Glacier Express est apparu dans les années 1930, avec une liaison directe Coire – Albula – Bernina – Tirano.

Etablie hors de la loi cantonale, la ligne de la Bernina fut dès sa construction électrifiée en 750 V continu : la rudesse du profil, comprenant des rampes de 50 à 70 pour mille excluait la traction vapeur. La traction électrique évitait aussi le recours à la crémaillère. Alors indépendante du RhB, elle bénéficia de l’apport du courant alternatif retenu par la compagnie cantonale. En revanche, la tension fut relevée à 1000 V en 1935.

L’isolat électrique de la Bernina s’explique par son intégration au RhB, en 1943, alors que la ligne connaissait d’importantes difficultés financières.  Le RhB engaga alors la modernisation du matériel, en constituant des automotrices et des locomotives aptes au 1000 V de la Bernina mais aussi au 2200 V continu de la ligne Coire – Arosa.

Ospizio Bernina - 16 janvier 2012 - Matériel le plus récent du réseau, les automotrices ABeh 3500 dites Allegra bénéficient d'accès plus larges et surbaissés. Elles sont capables de tirer les voitures classiques, les panoramiques du Glacier Express et des wagons de marchandises. Derrière la rame, on aperçoit sous la neige la gare-auberge dont on vous recommande l'excellent chocolat : l'aubergiste (lui aussi cadencé) n'oubliera pas de vous demander votre destination afin de demander l'arrêt au prochain train... © A. Knoerr

Outre les prouesses de construction, les caractéristiques des lignes et les paysages traversés, les lignes de l’Albula et de la Bernina tirent leur notoriété mondiale de l’exceptionnelle qualité du service proposé aux publics. Le pluriel n’est pas de trop car le RhB sait à la fois répondre aux attentes de la clientèle touristique, exigeante, venant du monde entier pour emprunter des voitures panoramiques d’une propreté immaculée, déjeuner dans le train au milieu de paysages époustouflants, et aux populations locales en offrant un service public particulièrement fourni. D’ailleurs, l’un permet l’autre puisque le Glacier Express ne représente que 3% des km-trains du RhB… mais il procure 28% des recettes voyageurs !

En 2014, le réseau rhétique a transporté 10,1 millions de voyageurs (avec une ponctualité de 96,3% à moins de 5 minutes), 473 000 voitures et 547 000 tonnes de marchandises. Au total, 6,7 millions de trains-kilomètres ont été produits. La recette par voyageur a atteint 7,17 CHF et le réseau a dégagé 186 000 CHF de profit après impôt. Moralité, on peut être un chemin de fer dans une région peu peuplée et savoir créer son modèle économique en tirant profit du tourisme et d'une réputation sur les cinq continents !

Landwasserbrücke - 25 février 2017 - On ne s'en lasse pas ! Une Allegra et un ensemble de voitures Alvra descendent vers Coire. Un site extraordinaire sur un réseau que tout amateur se doit de parcourir ! © P. Thoeny

Pour prolonger le voyage, transportrail vous propose un volet consacré au matériel roulant.