Le débat sur la motorisation
Dans le domaine de la grande vitesse ferroviaire, il y a deux écoles : motorisation concentrée ou répartie. Pionnier de la grande vitesse, le Japon avait d’emblée adopté la motorisation répartie dès le premier Shinkansen en 1964.
Mezzocorona - 13 juin 2020 - L'AGV 003 dans la robe rutilante (mais pas toujours facile à photographier) d'Italo. Les prestations offertes par le premier (et pour l'instant unique) concurrent de Trenitalia ont conduit l'opérateur historique à bousculer ses prestations et son modèle économique. © M. Stellini
En France, le TGV a fait le choix de la motorisation concentrée avec la formation de base comprenant 2 motrices encadrant 8 remorques articulées. En Allemagne, Siemens avait aussi fait ce choix sur la première génération des ICE. Il avait également été adopté en Italie avec les ETR500, même si les trains pendulaires ont toujours été à motorisation répartie, et en Espagne avec les AVE Talgo-Bombardier.
Novara - 29 décembre 2017 - Une rame ETR500, illustration italienne du concept de rame à grande vitesse classique à motorisation concentrée et 2 bogies pour chaque élément la composant. © M. Stellini
Au début des années 2000, l’arrivée de l’ICE3 (base Velaro, série 406-407) a marqué une rupture puisqu’il s’agit d’un matériel à motorisation répartie et apte jusqu’à 350 km/h. Même chose ensuite pour le groupement AnsaldoBreda – Bombardier pour le Zefiro, vendu en Italie pour les Frecciarossa 1000, en affichant une vitesse maximale de 400 km/h.
En Europe, l'ICE3 a donc ouvert une brêche en combinant motorisation répartie et grande vitesse, dans laquelle s'est engouffré le Zefiro, mais seul le TGV faisait le choix de la rame articulée (du moins pour le segment voyageurs).
Un TGV taillé pour les besoins français
Alstom avait développé le TGV sur la base des spécifications de la SNCF et avait donc un produit très ciblé selon les besoins français. Non sans un grand succès technique.
Saint Ythaire - 29 mai 1989 - Le TGV français concentre la motorisation dans des locomotives unidirectionnelles à 2 bogies tandis que le segment voyageurs est articulé, ce qui limite le nombre de bogies et réduit non seulement la résistance à l'avancement mais aussi l'usure de la voie. © B. Stephenson
Le TGV connut 2 succès commerciaux en Espagne avec la ligne à grande vitesse Madrid – Séville et en Corée de Sud. La RENFE avait choisi ensuite Siemens et le Velaro (duquel est issu l’ICE3), avant de se tourner vers Talgo associé à Bombardier et de revenir à la motorisation concentrée.
Alstom avait de fortes ambitions à l’international et les 2 succès du début des années 1990 n’eurent pas de succès… avant le Maroc dans les années 2010, mais sous couvert d’un accord diplomatique entre les gouvernements.
Le TGV Duplex a renforcé ce cloisonnement : adapté à certaines relations sur le territoire français, il apparaissait flagrant qu’il ne le serait pas dans d’autres pays, a fortiori avec des schémas de desserte à arrêts relativement fréquents.
Montboucher sur Jabron - 5 mai 2016 - Le TGV Duplex répond au besoin français (du moins une partie) et réussit plusieurs prouesses, dont évidemment celle de pouvoir transporter, ici en version low-cost, plus de 600 personnes tout en restant sous la barre des 17 tonnes à l'essieu. © D. Gubler
L’AGV taillé pour la très haute vitesse
Devant la croissance de la demande des pays en faveur de trains à motorisation répartie, Alstom mit à l’étude un train à grande vitesse à motorisation répartie pour se repositionner sur le marché international.
La conception de ce nouveau train a été lancée par Alstom en 2003 et allait d’abord déboucher sur la construction du prototype Pégase, présenté au Président de la République – et à celui de la SNCF – en 2007. Les essais ont ensuite eu lieu en République Tchèque et de nuit sur la LGV Est au cours de l’année 2008 avant la révélation publique à Innotrans 2008.
Développé au début des années 2000, l’AGV s’inscrit dans une course à la vitesse. La France avait une longueur d’avance avec des TGV aptes à 300 et même 320 km/h. A l’époque, on envisageait des vitesses encore plus importantes, quitte à un peu minorer les effets sur la consommation d’énergie, le bruit, la maintenance de l’infrastructure… Siemens proposait son ICE3 avec une vitesse de 330 km/h. Talgo et Bombardier développaient aussi un matériel apte à cette vitesse pour l’Espagne.
L’influence d’un courant favorable à la très haute vitesse, au-delà de 350 km/h avait quand même pignon sur rue et motivait donc la conception d’une rame combinant motorisation répartie et aptitude à des vitesses supérieures aux TGV classiques.
Un seul marché remporté : Italo
Pour présenter l’AGV, difficile de ne pas évoquer les 25 rames série 575 de l’opérateur privé italien Italo… puisque ce sont les seules produites. Ce marché de 1,2 MM€ comprenait 10 rames en option, qui n’a pas été commandées. Sur ce lot, 17 rames ont été produites sur le site français d'Aytré et 8 sur le site italien de Savigliano (anciennement Fiat Ferroviaire).
Signalons pour l'anecdote (intéressante dans le contexte du début d'année 2021), qu'Alstom et CAF étaient associés dans un projet d'AGV pour la RENFE (32 rames), qui a préféré Siemens et le groupement Talgo-Bombardier pour accroître son parc à grande vitesse au-delà des rames type TGV !
La rame de 200 m de long comprend 11 voitures et dispose de 10 portes puisque le module central, destiné à la restauration, en est dépourvu. Les caisses sont larges de 2,99 m, ce qui se traduit à bord par une sensation d’espace réellement accrue par rapport aux autres trains à grande vitesse d’Alstom, offrant 9 cm de moins. La rame repose sur 12 bogies munis de roues de 920 mm de diamètre.
Montepulciano - 1er mai 2013 - La rame AGV 008 déploie ses 200 m de long en illustrant l'intérêt de la rame articulée à caisses courtes : elle dispose de 10 portes contre 7 sur un TGV de longueur identique, ce qui améliore les conditions d'entrée et de sortie des voyageurs, point faible de la rame française, singulièrement quand elle est à 2 niveaux ! © M. Stellini
La hauteur du plancher est à 1155 mm, identique à celle des voitures de TGV à un niveau type Atlantique ou Réseau. Néanmoins, l’accès est un peu plus aisé puisque le ratio entre la capacité et le nombre de portes est meilleur.
La rame Italo offre 460 places et comprend 10 portes : le ratio est donc d’une porte pour 46 sièges dans l’AGV Italo contre 53 sièges dans la rame française (377 places et 7 portes).
Néanmoins, ce résultat est la conséquence du choix de l’aménagement intérieur. Une version « maxi-capacitaire » pourrait disposer de 650 sièges. La version Italo dispose en effet de 4 niveaux de confort :
- 19 places en Executive,
- 76 places en Prima,
- 76 places en Comfort
- 289 places en Smart
Toutes proposent un siège en cuir, de qualité différente, avec une ergonomie, un pas de siège, la possibilité ou non de régler l’assise, des couleurs et des fonctionnalités propres à chaque segment tarifaire. Ceci procède évidemment du choix de l’exploitant, tout comme le service de restauration.
L’unique version produite dispose de 5 voitures motorisées pour une rame de 11 éléments, développant 7600 kW, puissance qui peut être portée à 9120 kW avec une 6ème motrice. Affichant une masse à vide de 377 tonnes, l’AGV Italo affiche donc une puissance massique de 20,15 kW / t, inférieure 14% à celle d’une rame TGV Réseau (23 kW / t). Alstom indique que la démarche aérodynamique lui permet de réduire la consommation d’énergie de 10 à 20 % en diminuant la résistance à l’avancement, outre le fait que la rame comprend un bogie de moins qu’un TGV classique. La moindre masse – 6 tonnes par rapport à un TGV Réseau, 32 tonnes par rapport à un ICE3 – réduit en outre le dimensionnement de la chaîne de traction pour atteindre les performances requises.
Le bogie moteur à aimants permanents a été testé grandeur nature sur la rame TGV V150 lors de la campagne d’essais de vitesse de 2007 : 2 articulations en avaient été dotés. Ils dont donc circulé à 574,8 km/h. Ils sont cependant dépourvus de freinage à courants de Foucault, afin de respecter le bilan masse.
L’AGV Italo est évidemment apte au 3000 V continu et au 25 kV 50 Hz présents en Italie.
AGV : les raisons de l’échec commercial ?
L’AGV et ses 25 exemplaires a bien constitué pour Alstom le moyen de se positionner sur le segment de la grande vitesse à motorisation répartie. Or le marché de la grande vitesse est, comme dit en début de dossier, très fragmenté sur ce point. Alstom espérait pouvoir placer l’AGV en France, pour remplacer les rames Sud-Est d’abord, puis les Atlantique et Réseau, mais la stratégie de la SNCF a privilégié l’homogénéisation technique de sa flotte avec la rame Duplex. En 2011, elle a demandé à Alstom d’étudier un AGV Duplex, qu’on n’a toujours pas réellement vu. La nouvelle génération de TGV commandée à 100 exemplaires est à motorisation concentrée… et toujours à 2 niveaux.
L’AGV présente tout de même l’atout d’une capacité un peu plus élevée : sur 200 m, il semble bien possible d’égaler a minima le nombre de sièges des premiers TGV Duplex (509 places) en s’affranchissant des contraintes d’accès avec les multiples escaliers.
En dépit de la vitrine italienne, et d’atouts non négligeables, l’AGV n’a pas connu d’autres succès commerciaux. Siemens et ses Velaro, pourtant plus lourds et pas forcément exempts de soucis de fiabilité, l’a par exemple emporté en Russie, en Chine et en Turquie, sans oublier le marché Eurostar.
Conçu pour circuler sous 3000 V et 25 kV, l'AGV semble aussi avoir été handicapé par les contraintes de masse à l'essieu d'une formule entièrement articulée (comme c'était le cas sur le prototype TGV001) qui ne lui permettait pas d'intégrer les équipement pour devenir tri- ou quadricourant. L'installation d'un transformateur pour le 15 kV semble ne pas avoir abouti sur le papier, et manifestement, il était difficile d'envisager un AGV quadricourant à vocation européenne.
Trenitalia s’est tourné à l’époque vers AnsaldoBreda, repris ensuite par Hitachi, pour sa nouvelle génération, à motorisation répartie, développée avec Bombardier. En Espagne, la RENFE est revenue à la motorisation concentrée après l’épisode Velaro pour Madrid – Barcelone.