A propos des trains à hydrogène...
Il défraie la chronique et beaucoup en font un étendard, voire même une potion magique capable de répondre à tous les problèmes du système ferroviaire en France. Le « train à hydrogène » est au cœur des débats mais il faut essayer d’aller un peu plus loin que quelques slogans. C’est ce que nous allons essayer d’accomplir dans ce dossier.
D’abord quelques éléments sur l’hydrogène
L’hydrogène est un vecteur énergétique produit à partir d’une autre ressource, pour l’instant d’origine fossile à 95%, par reformage du gaz naturel à la vapeur d’eau (réaction du méthane avec de l’eau pour obtenir un mélange H2 – CO²) ou par gazéification à base de charbon (mélange H2 – CO).
L’hydrogène « propre » suppose une filière hydro-électrique mais aussi un usage à proximité du site de production, car le transport de l’hydrogène (puis son stockage) suppose un niveau très élevé de compression (jusqu’à 700 bars), elle aussi consommatrice d’énergie. La molécule d’hydrogène est particulièrement fine : elle impose aussi un très haut niveau d’étanchéité pour ne pas qu’elle se disperse et une pression élevée pour son stockage dans de bonnes conditions. La forme liquide (à -253°C) est encore plus coûteuse à obtenir.
La densité énergétique de l’hydrogène (120 mégajoules / kg) est 4 fois plus élevée que le charbon (34 MJ / kg) et 3 fois plus que le gasoil (43 MJ/ kg). La combustion d’un kilogramme d'hydrogène libère environ trois fois plus d'énergie qu'un kilogramme d'essence, et ne produit que de l’eau. En revanche, l’hydrogène occupe, à masse égale, beaucoup plus de volume que tout autre gaz. Ainsi pour produire autant d'énergie qu'un litre d'essence, il faut 4,6 litres d'hydrogène comprimé à 700 bars.
L’étude de l’Institut britannique de Mécanique montre que, pour le domaine ferroviaire, 1 kW utile consomme 3 kW en recourant à l’hydrogène, contre 1,2 kW avec une ligne classiquement électrifiée par caténaire. Bref, meilleure densité énergétique… mais quand même pas mal de pertes entre le producteur et le consommateur.
Autre point faible : le coût de la production d’hydrogène est encore des plus élevés au moins le double du prix à la pompe du gasoil… et le coefficient peut être encore doublé pour des solutions de production à haute technologie et faible empreinte environnementale. Néanmoins, le prix pourrait chuter et, selon les prévisions de ce début de décennie, il pourrait accoster à l’équivalent du prix actuel du gasoil.
L’hydrogène peut être un carburant d’avenir : reste à en définir l’échéance ! C'est une des possibilités pour électrifier l'exploitation ferroviaire sans nécessairement électrifier la totalité de l'infrastructure, alors que, par exemple, la SNCF envisage de se passer du gasoil en 2035.
Le « train à hydrogène », comment ça marche ?
De façon très schématique, il s’agit d’abord d’un train électrique… à batteries. La pile à combustible alimentée en hydrogène a 2 fonctions : d’une part l’alimentation des moteurs de traction et d’autre part la recharge des batteries, avec le surplus de production de la pile (qui n’a pas la variabilité d’un moteur à explosion par exemple). Les batteries récupèrent aussi l’énergie au freinage mais elles sont donc indispensables et altèrent donc en partie le rendement énergétique. Dans le processus d’utilisation de l’hydrogène embarqué et de celui capté dans l’air ambiant en le séparant de l’oxygène, le train rejette de la vapeur d’eau.
Venons-en donc plus particulièrement au Coradia i-Lint : il s’agit à la base d’une rame Coradia Lint 54 à 2 caisses, d’une longueur de 54 m et offrant environ 140 places. Le train est équipé de 2 piles à combustible d’une puissance de 314 kW chacune, soit 628 kW embarqués. On peut d’ores et déjà comprendre que les seules piles sont insuffisantes pour en faire un engin suffisamment performant. En comparaison, la version électrique conventionnelle développe autour de 1200 à 1300 kW.
Les essais du Coradia i-Lint ont amené à tester les piles à combustibles, les batteries et les réservoirs d'hydrogène dans différentes conditions et notamment au froid, comme ici en Thuringe : l'autonomie diminue en conditions difficiles comme tout équipement recourant à une batterie. (cliché X)
Sur le Coradia i-Lint, les 260 kg d’hydrogène sont stockés à 350 bars dans les réservoirs, puis est décompressé à 10 bars avant d’entrer dans la pile à combustible entre 1 et 2 bars.
Les performances des piles rendent indispensables les batteries lithuim-ion pour procurer le complément afin d’avoir un train compatible avec les besoins de l’exploitation et apte à 140 km/h. Elles peuvent délivrer jusqu’à 600 kW en plus de la pile, ce qui amène donc le train à une puissance comparable au matériel électrique conventionnel.
Le schéma de fonctionnement repose sur la combinaison pile + batteries au démarrage et un usage des seules piles pour le maintien en vitesse. La régulation de l’alimentation permet de moduler la sollicitation de la pile de sorte à maximiser l’autonomie. C’est d’ailleurs un sujet central.
document Alstom
Frelsdorf - 19 mars 2019 - L'un des deux premiers éléments fonctionnant à l'hydrogène au cours d'une liaison commerciale sur la ligne Cuxhaven - Bremerhaven. La facilité du profil et la vitesse modeste concourent à assurer une autonomie correcte. Mais qu'en est-il sur des lignes où on roule plus vite, ou à profil montagneux ? H. Seger
Autonomie et performance : bien définir les conditions d’utilisation
L’autonomie n’est pas uniquement liée à la vitesse : elle dépend aussi du profil des lignes empruntées. Pour l’instant, en Basse-Saxe, les 2 rames en circulation depuis septembre 2018 profitent d’un profil facile (pas ou peu de rampes) et d’une vitesse de pointe modérée à 110 km/h. Alstom annonce une autonomie théorique maximale de 1000 km, comparable à celle d’une rame thermique. Mais il s’agit de la théorie… et Alstom semble devenir plus prudent en affichant désormais 600 à 800 km, au mieux.
Mais qu’en serait-il sur des lignes au profil plus difficile ? La puissance de la pile est insuffisante pour assurer des performances comparables à celles des matériels thermiques existants, et le recours aux batteries en « coup de pouce » doit être sérieusement évalué en fonction des situations : le Coradia i-Lint sur la ligne des Alpes entre Grenoble et Veynes pourrait se retrouver en situation délicate.
Chamborigaud - 17 mai 2012 - Un X73500 sur ce haut lieu de la ligne des Cévennes. Un parcours de grande longueur, sur lequel les vitesses sont généralement basses, au mieux à 80 km/h du fait de sa sinuosité, mais dont le profil est aussi sévère que les paysages sont remarquables : le versant cévenol comprend 52 km d'ascension entre Grand'Combe - La Pise et La Bastide Saint Laurent les Bains pour passer de 188 m à 1030 m d'altitude, avec une pente variant entre 18 et 25 / 1000 qui n'offre guère de répit aux motorisations. © Rail Composition
Une solution plutôt pour du matériel neuf
Enfin, le « train à hydrogène », c’est surtout un train neuf. Il est difficile d’envisager la transformation de matériels existants compte tenu des contraintes inhérentes à l’emport d’hydrogène et à la transformation de grande ampleur de la chaîne de traction. Sur les trains les plus simples, avec une transmission mécanique ou hydraulique, l’option semble d’ores et déjà écartée. Sur des rames à transmission électrique, l’ampleur des modifications serait moindre, mais il s’agirait tout de même d’évolutions onéreuses. En outre, c’est toute la conception du train qu’il faudrait repenser de façon à en limiter intrinsèquement le besoin en énergie.
La Roche les Arnauds - 14 août 2012 - L'ascension à Briançon est dans un autre registre : la différence d'altitude entre Veynes et Briançon n'est que de 400 m, mais le profil est plus casse-pattes (ou casse-bogies) en comprenant une rampe de 25/1000 entre L'Argentière et Briançon sur 14 km et dans l'autre sens une dizaine de kilomètres de même gradient entre Gap et le seuil de La Freissinouse. Le reste du parcours n'est certes pas avare en efforts de même nature, mais avec une rampe moyenne plutôt faible puisque, de Gap à L'Argentière, la ligne ne s'élève que de 230 m en 70 km ! © transportrail
Dans le contexte français, les flottes régionales sont récentes : les matériels les plus anciens ont 22 ans (X73500) et sont donc seulement à la mi-vie. Economiquement, une transformation aussi radicale de trains pour passer à l’hydrogène ne semble pas justifiable pour des durées de vie résiduelles de 10 à 15 ans. Par conséquent, la pertinence du « train à hydrogène » dépend de la situation des parcs de matériel roulant. Toujours dans le cas français, il faut aussi signaler que depuis 2004, des rames bimodes (AGC puis Régiolis) ont été déployées, optimisant l’usage des installations électriques existantes. Ce n’est pas le cas de nombre de pays voisins, et notamment de l’Allemagne où se concentrent les premières commandes de « trains à hydrogène ».
Pennautier - 19 mai 2020 - Tout beau, tout neuf, pimpant : ce Régiolis bimode est l'un des premiers à arborer la nouvelle livrée Occitanie qui ne passera pas inaperçue ! Avec autant de matériel neuf ou récent, dont beaucoup de bimodes, la situation n'est pas comparable avec l'Allemagne : les besoins en matériel neuf dans la décennie 2020 sont relativement limités pour les lignes non électrifiés. © R. Dumas
Les commandes
A mi-2020, les commandes notifiées à Alstom portent sur 14 éléments en Basse-Saxe, 41 en Bavière et 27 par le Rhein-Main-Verkherdverbund autour de Francfort. Ces contrats intègrent également la maintenance et la fourniture de l’hydrogène pendant 25 à 30 ans selon les cas. Le développement a bénéficié d’un concours de l’Etat allemand au titre du programme national d’innovation, à hauteur de 8M€.
L’Italie et les Pays-Bas s’intéressent aussi à cette technologie, du moins pour des expérimentations grandeur nature.
En France, Alstom et la SNCF essaient d’embarquer certaines Régions vers une premier commence de Régiolis bimode dont la partie « autonome » fonctionnerait à l’hydrogène : 12 rames ont été ainsi commandées par les Régions Bourgogne-Franche-Comté, Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes et Grand Est se sont montrées intéressées. La première envisage d’exploiter de tels trains entre Laroche-Migennes et Auxerre en alternative à une électrification qui aurait permis de traiter le problème capacitaire entre Paris et Laroche en remplaçant les AGC par des Régio2N sur la relation Paris – Auxerre. La seconde souhaite les utiliser sur la réouverture de Montréjeau – Luchon en lien avec une filière d’hydrogène par hydro-électricité. La troisième les testerait sur Lyon - Clermont-Ferrand et Moulins - Brioude tandis que dans l'Est, les essais auraient lieu entre Mulhouse et Kruth.
Auxerre Saint Gervais - 5 janvier 2014 - La grande idée de la Région Bourgogne Franche-Comté est d'exploiter des rames fonctionnant à l'hydrogène entre Laroche-Migennes et Auxerre, plutôt que d'électrifier la ligne. Outre le fait que cela ne résoudra pas la question capacitaire sur les dessertes du bassin parisien, la ville d'Auxerre est-elle au courant qu'elle risque de perdre ses liaisons directes avec la capitale et que le coût d'acquisition des 3 rames est en train de se rapprocher dangereusement du coût de l'électrification ? © transportrail
Néanmoins, l’autonomie réelle des rames et surtout leur coût détermineront la suite de ce projet : avec 600 km annoncés par Alstom et la SNCF sur ce projet, un « TER H2 » ne pourrait pas atteindre l’autonomie d’une rame bimode en traction thermique (de l’ordre de 1000 km). Gênant quand, en parallèle, on ne cesse d'évoquer la nécessité d'intensifier les roulements de matériel roulant (quand une rame régionale française fait 1 km, une rame allemande en fait 2,5) pour baisser la part des frais fixes dans le coût de production du train : s'il faut passer plus souvent faire le plein, il sera difficile d'avoir des roulements optimisés avec des crochets raisonnablement courts. Passer par le dépôt peut entrainer une perte de temps pouvant atteindre - voire dépasser - une heure...
Quant au coût, cela pourrait être une pomme de discorde puisqu’il semblerait que le prix à la place assise d’une telle rame soit en train de rejoindre celui du TGV Euroduplex. Les 12 premiers éléments commandés sortent en moyenne à 15,8 M€ la rame, soit 2 fois le prix d'une rame bimode classique, certes avec une part importante liée aux frais de développement. Il y a probablement quelques économies à la clé, mais arriveront-elles à rendre le bilan favorable ? C'est l'intérêt d'une expérimentation grandeur nature.
A lire également :
- cet article de Jean-Marc Jancovici :
- cette analyse sur l'euphorie autour du train à hydrogène ;
- cette étude réalisée par l'ADEME et la SNCF sur l'évaluation du potentiel du train à hydrogène ;
- cette étude remise au gouvernement belge qui semble privilégier les solutions mixant caténaires et batteries, plus économiques.