L’Autorité de Régulation des Transports guette la page des nominations à l’issue de chaque Conseil des Ministres… en vain. Depuis le départ de Bernard Roman, le gouvernement n’a toujours pas désigné son successeur. L'ancien président de la Région Alsace, Philippe Richert, la prédise par interim
Néanmoins, l’ART n’est pas avare en propos forgeant son indépendance. La récente modélisation des trajectoires d’investissement sur l’évolution du réseau et sa santé économique doit faire grincer quelques dents, que ce soit du côté de l’hôtel de Roquelaure ou de Matignon.
Une trajectoire budgétaire de paupérisation
L’ART confirme, sans surprise, les insuffisances de l’actuel contrat Etat – SNCF Réseau et l’absence de vision du réseau à 10 ans. Elle qualifie même la situation d’organisation de la paupérisation industrielle. In fine, l’Autorité confronte les discours de Mme Borne et de M. Beaune avec la réalité budgétaire quelque peu austère du tandem Le Maire – Attal.
Elle met – une fois de plus – en cause l’absence de segmentation stratégique du réseau et les limites de l’analyse actuelle fondée sur le tonnage supporté par la voie sans aucune référence à la géographie des territoires et à la nature des trafics. La pédagogie est l’art de la répétition mais les élèves sont toujours aussi dissipés.
Sans réelle surprise, le scénario tendanciel n’arriverait à « sauver » qu’une petite moitié du réseau, soit les lignes à grandes vitesse et les principaux axes structurants « UIC 2 à 4 ». Il y aurait de la casse à un horizon de 15 ans environ sur les lignes intermédiaires « UIC 5 et 6 » comme Paris – Toulouse, Paris – Clermont-Ferrand, les radiales bretonnes, Paris – Cherbourg, Marseille – Nice ou le sillon alpin. Beau programme n’est-ce pas ?
Le scénario de transition écologique, porté par le Conseil d’Orientations des Infrastructures, devrait sécuriser le devenir des « UIC 5 et 6 » (mais avec quel niveau de performance). Quant aux lignes de desserte fine du territoire, le rapport s’étale peu sur la question. C’est dommage car cela laisse ouverte l’hypothèse d’un sacrifice pour sauver la catégorie intermédiaire.
Trop ancien, mal géré et souffrant d’un déficit chronique d’investissements de modernisation, le réseau coûte aussi trop cher à exploiter et se révèle insuffisamment performant par rapport aux défis actuels.
Alors qu’au moins deux tiers des réseaux de nos voisins directs sont déjà gérés par des commandes centralisées (60 % au Royaume Uni, 70 % en Italie, 90 % en Allemagne, 100 % en Suisse), seuls 15 % des 277 secteurs-circulations définis en France sont en service. A ce rythme, il faudra attendre 2070 pour que le réseau structurant soit intégralement télécommandé. Ne parlons pas des dessertes fines du territoire…
100 milliards : un minimum à organiser
L’ART confirme donc l’analyse réalisée par le COI et son scénario privilégié d’investissement, en dépit du flou entretenu sur la consistance du réseau… comprendre le sort des « UIC 7 à 9 », surtout si on ne se soucie pas de leur rôle réel dans la desserte du territoire. Le rapport, qui reste dans le droit fil de celui de l'EPFL en 2005 (c'est dire l'inertie française) insiste fortement sur la nécessité de sortir des incertitudes budgétaires et d'assurer une vision décennale des investissements par une loi de programmation à laquelle il faudra que l'Etat se tienne. Le ferroviaire est une industrie de temps long peu compatible avec les cycles courts des financiers, raisonnant par budget annuel et le rectifiant à coup de décisions modificatives semestrielles.
Cependant, à la logique globale « investir aujourd’hui pour économiser demain », il faut toutefois ajouter un préalable. En France, non seulement il est urgent d’augmenter le volume d’investissement de renouvellement et de modernisation, mais il faudra préalablement moderniser les équipements et les pratiques de réalisation de ces travaux, au risque de « mourir guéri ».
L’enjeu est de taille : le volume de travaux actuel entraîne déjà des interceptions de circulation assez lourdes et pénalisantes pour les voyageurs et les clients fret. L’intégration à horizon 2027 de 1,5 MM€ supplémentaires de travaux, dans les conditions actuelles, ne pourra se faire qu’en réduisant encore un peu plus le temps dévolu à la circulation, alors que, parallèlement, sont mis en avant le développement des RER périurbains, la relance du fret, l’ouverture du marché à de nouveaux opérateurs, bref une augmentation de l’usage du réseau.
Il y a donc contradiction entre l’affichage « volontariste » et les modalités de mise en œuvre. L’augmentation – nécessaire – du volume de travaux ne peut aujourd’hui se faire qu’en réduisant encore un peu plus le temps dévolu aux circulations. Conséquence, les recettes diminueront du fait de l’élagage des sillons. Le réseau paie lourdement les effets d’un maillage faible (peu d’itinéraires alternatifs), d’une pratique presque systématique de l’interception simultanée sur les deux voies et d’un équipement en IPCS ou banalisation qui demeure l’exception du fait de raisonnements d’abord financiers (« ces aiguillages ne servent pas à grand-chose »).
Il ne sera pas aisé de casser ce cercle vicieux sans une période encore longue d’au moins 20 ans pendant laquelle la France continuera d’appliquer le principe du train rare sur une infrastructure qui, au-delà de la vitrine, n’est pas au mieux de sa forme.