17 octobre 2023

Allotissement et dessertes interrégionales : un casse-tête ?

C'est à ce jour un peu une zone d'ombre : les Régions ont la charge de liaisons interrégionales qui leur ont été transférées par différentes modalités (les EIR au début des années 1990, la mise en service de lignes à grande vitesse ensuite, les transferts des liaisons du Bassin Parisien enfin), ou qu'elles ont créé de leur propre initiative.

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Perrigny-sur-Loire - 26 juillet 2013 - Sur la ligne Moulins - Paray-le-Monial, ces AGC rhônalpins n'ont pas fini leur périple qui les conduit à Tours. Cette desserte Lyon - Tours a été créée par les Régions Rhône-Alpes, Bourgogne et Centre en coordonnant des circulations existantes. Il existait aussi une liaison vers Orléans, qui a depuis été limitée à Nevers. Le sort de ces liaisons est parfois fragile. © transportrail

Dès lors que le principe d'attribution directe de l'exploitation ne sera plus possible dans deux mois, la plupart des Régions semblent se donner le temps puisqu'elles renouvellement par anticipation les conventions les liant à SNCF Voyageurs. PACA, Pays de la Loire et Hauts-de-France ont en revanche engagé le processus d'allotissement.

Dans un nouveau chapitre de notre dossier consacré à la libéralisation des dessertes de voyageurs en France, transportrail met en exergue la singularité de ces dessertes qui pourraient pâtir de cette constitution de lots, que certains qualifieront de saucissonnage. Il faudra évidemment veiller à leur prise en compte car il peut exister un risque de mise à mal de ces offres qui correspondent pourtant à des réalités territoriales, outre le fait qu'elles peuvent parfois compenser les faiblesses de la desserte nationale, conventionnée ou librement organisée.

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08 octobre 2023

Railcoop : quelle issue ? quelles suites ?

4,7 millions € de déficit sur l'exercice 2022, une dette qui ne cesse de croître, l'échec du service fret, les multiples changements de posture concernant un service Lyon - Bordeaux, la recherche de nouveaux sociétaires en annonçant de multiples relations sur l'ensemble du territoires, les incohérences dans les premières demandes de sillons (Limoges - Périgueux à la vitesse moyenne de 265 km/h...), le feuilleton des X72500 avec ACC, l'échec de la dernière levée de fonds... Il va être difficile pour Railcoop d'éviter le placement sous la protection du Tribunal de Commerce, avec deux issues possibles : le redressement financier ou la liquidation.

Ville, Rail et Transports mentionne un élément intérssant : Railcoop avait créé en son sein une Commission d'éthique et de médiation, qui s'est auto-saisie après avoir constatée une « dérive » dans « l’application des valeurs coopératives » et s'interrogeant sur son fonctionnement, les relations avec les sociétaires et la gestion des ressources humaines et financières.

 

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02 octobre 2023

Etat - Régions : une incompréhension persistante

D'années en années, les congrès de Régions de France sont l'occasion de constater le fossé grandissant entre les collectivités locales, et notamment les Régions, d'une part et l'Etat d'autre part. La volonté centralisatrice du pouvoir ne cesse de se renforcer depuis 2017, même si le mouvement a été amorcé bien plus tôt, à force de réformes fiscales les privant de plus en plus de l'autonomie de ressources initialement accordée.

Cette année, les sujets ferroviaires étaient encore parmi ceux sur le haut de la pile et comme l'Etat n'est pas avare en déclarations politiques à haute portée médiatique, il ne fallait pas être devin pour imaginer qu'elles soient au menu des débats. En tête d'affiche, les annonces sur le développement de RER dans les grandes villes en général et d'une enveloppe de 700 M€ dans les futurs Contrats de Plan en cours de négociation, puis le projet du Pass Rail.

Bref, l'Etat, par les voix de Mme. Borne et de M. Beaune incitaient les Régions à développer l'offre - comprendre en filigrane le reproche de ne pas en faire assez - alors que les Régions, emmenées par Mme. Delga, mettaient en exergue le besoin d'investir sur les infrastructures pour les rénover, les moderniser et les rendre compatibles aux nouveaux enjeux du rail, en soulignant qu'un RER sur des infrastructures obsolètes ne tiendrait pas longtemps.

Quant au Pass Rail, les Régions soulignent qu'il ne faut pas renverser l'ordre des priorités :

  • peut-on supporter un nouvel afflux de voyageurs lié à une tarification attractive avec les dessertes telles qu'elles sont actuellement ? La réponse est évidemment non ;
  • par conséquent, il faudra investir pour augmenter la capacité et la performance du réseau : l'expérience alsacienne montre que la résilience actuelle du système à un apport important de dessertes ne va pas de soi ;
  • peut-on faire de telles annonces sans avoir préalablement clarifier les questions de financement des aménagements nécessaires... et du pass en lui-même ? En Allemagne, l'Etat central prend en charge la moitié de son coût, et il commence à être question d'augmenter significativement la part à la charge des voyageurs.

L'Etat prend la main pour un comité de coordination, qui s'annonce animé car la Région Ile-de-France ne veut pas qu'un tel projet soit valable sur son territoire (alors qu'elle vient de signer un protocole de financement avec le ministre des Transports), et parce que l'Etat devra lui-même trancher sur l'accessibilité aux trains qu'il gère (les Trains d'Equilibre du Territoire), souffrant aussi d'un déficit important d'offre...

05 septembre 2023

La rentrée des effets d'annonce

Honneur au chef de l'Etat : interrogé par le youtubeur HugoDécrypte, M. Macron a annoncé son intention de lancer un abonnement national sur les trains régionaux, comme en Allemagne, en Autriche et au Portugal. Intéressant après l'octroi de la liberté tarifaire aux Régions qui, sous certains aspects, est loin de simplifier le quotidien des voyageurs interrégionaux.

Se poserait évidemment la question des modalités de compensation aux Régions : le débat a été un peu vif en Allemagne avec certains Länders. Autre grande différence : l'offre de transport régional n'est absolument pas armée pour répondre à un surcroît de fréquentation tel qu'on a pu l'observer en Allemagne. La croissance du trafic post-covid est largement supérieure aux prévisions effectuées à la sortie de la crise sanitaire, avec des taux de croissance annuelle parfois à 2 chiffres et des difficultés de production grandissantes, conjuguant manque de matériel roulant suffisamment capacitaire et manque de personnel pour assurer l'intégralité des services décidés par les Régions. Etant données les capacités d'investissement limitées des Régions et leurs budgets de fonctionnement plafonnés par l'Etat, il ne saurait être question de s'engager dans une telle direction sans résoudre une bonne fois pour toutes des problèmes que les gouvernements successifs depuis une vingtaine d'années ne cessent de mettre sous le tapis.

Première réaction en Région, celle du vice-président aux Transports des Hauts-de-France : M. Dhersin note la capacité de l'Etat à avoir de bonnes idées... avec l'argent des Régions (il a employé un autre terme, on vous laisse deviner lequel).

Evidemment, on ne manquera pas de souligner qu'avec cette déclaration immédiatement largement médiatisée, les autres sujets de financement du secteur ferroviaire sont passés sous silence : transportrail ne tombe pas dans le panneau. Au fait, et les investissements sur l'infrastructure, on en parle ? Que contiendra le budget 2024 pour les Transports ? Comment vont être financés les prochains Contrats de Plan Etat-Régions ? Les RER métropolitains sont aussi de toutes les conversations, mais eux aussi nécessitent à la fois d'importants budgets d'investissement tant sur l'infrastructure, les gares, le matériel roulant que de fonctionnement pour renforcer les dessertes. A ce sujet, pas un mot de l'Etat...

Passons au ministre des Transports : dans le dossier de la liaison Paris - Berlin, M. Beaune semble vouloir influer sur la SNCF et la DB pour répondre favorablement à la demande de la maire de Strasbourg de voir passer ce train par sa ville. Pour l'instant, il est prévu de passer par Metz et Francfort. Mais il s'agit de services ferroviaires librement organisés. La décision ne revient qu'aux opérateurs.

N'oublions pas pour finir la Première Ministre, puisqu'elle a donné l'exemple en prenant l'avion pour aller dans une école à Rennes pour la rentrée des classes, pendant que les médias insistent sur une poussée caniculaire tardive. Elle a au moins fait du co-avionnage puisque le ministre de l'Education l'accompagnait.

24 juillet 2023

L’ART toujours aussi critique même sans président

L’Autorité de Régulation des Transports guette la page des nominations à l’issue de chaque Conseil des Ministres… en vain. Depuis le départ de Bernard Roman, le gouvernement n’a toujours pas désigné son successeur. L'ancien président de la Région Alsace, Philippe Richert, la prédise par interim

Néanmoins, l’ART n’est pas avare en propos forgeant son indépendance. La récente modélisation des trajectoires d’investissement sur l’évolution du réseau et sa santé économique doit faire grincer quelques dents, que ce soit du côté de l’hôtel de Roquelaure ou de Matignon.

Une trajectoire budgétaire de paupérisation

L’ART confirme, sans surprise, les insuffisances de l’actuel contrat Etat – SNCF Réseau et l’absence de vision du réseau à 10 ans. Elle qualifie même la situation d’organisation de la paupérisation industrielle. In fine, l’Autorité confronte les discours de Mme Borne et de M. Beaune avec la réalité budgétaire quelque peu austère du tandem Le Maire – Attal.

Elle  met – une fois de plus – en cause l’absence de segmentation stratégique du réseau et les limites de l’analyse actuelle fondée sur le tonnage supporté par la voie sans aucune référence à la géographie des territoires et à la nature des trafics. La pédagogie est l’art de la répétition mais les élèves sont toujours aussi dissipés.

Sans réelle surprise, le scénario tendanciel n’arriverait à « sauver » qu’une petite moitié du réseau, soit les lignes à grandes vitesse et les principaux axes structurants « UIC 2 à 4 ». Il y aurait de la casse à un horizon de 15 ans environ sur les lignes intermédiaires « UIC 5 et 6 » comme Paris – Toulouse, Paris – Clermont-Ferrand, les radiales bretonnes, Paris – Cherbourg, Marseille – Nice ou le sillon alpin. Beau programme n’est-ce pas ?

Le scénario de transition écologique, porté par le Conseil d’Orientations des Infrastructures, devrait sécuriser le devenir des « UIC 5 et 6 » (mais avec quel niveau de performance). Quant aux lignes de desserte fine du territoire, le rapport s’étale peu sur la question. C’est dommage car cela laisse ouverte l’hypothèse d’un sacrifice pour sauver la catégorie intermédiaire.

Trop ancien, mal géré et souffrant d’un déficit chronique d’investissements de modernisation, le réseau coûte aussi trop cher à exploiter et se révèle insuffisamment performant par rapport aux défis actuels.

Alors qu’au moins deux tiers des réseaux de nos voisins directs sont déjà gérés par des commandes centralisées (60 % au Royaume Uni, 70 % en Italie, 90 % en Allemagne, 100 % en Suisse), seuls 15 % des 277 secteurs-circulations définis en France sont en service. A ce rythme, il faudra attendre 2070 pour que le réseau structurant soit intégralement télécommandé. Ne parlons pas des dessertes fines du territoire…

100 milliards : un minimum à organiser

L’ART confirme donc l’analyse réalisée par le COI et son scénario privilégié d’investissement, en dépit du flou entretenu sur la consistance du réseau… comprendre le sort des « UIC 7 à 9 », surtout si on ne se soucie pas de leur rôle réel dans la desserte du territoire. Le rapport, qui reste dans le droit fil de celui de l'EPFL en 2005 (c'est dire l'inertie française) insiste fortement sur la nécessité de sortir des incertitudes budgétaires et d'assurer une vision décennale des investissements par une loi de programmation à laquelle il faudra que l'Etat se tienne. Le ferroviaire est une industrie de temps long peu compatible avec les cycles courts des financiers, raisonnant par budget annuel et le rectifiant à coup de décisions modificatives semestrielles.

Cependant, à la logique globale « investir aujourd’hui pour économiser demain », il faut toutefois ajouter un préalable. En France, non seulement il est urgent d’augmenter le volume d’investissement de renouvellement et de modernisation, mais il faudra préalablement moderniser les équipements et les pratiques de réalisation de ces travaux, au risque de « mourir guéri ».

L’enjeu est de taille : le volume de travaux actuel entraîne déjà des interceptions de circulation assez lourdes et pénalisantes pour les voyageurs et les clients fret. L’intégration à horizon 2027 de 1,5 MM€ supplémentaires de travaux, dans les conditions actuelles, ne pourra se faire qu’en réduisant encore un peu plus le temps dévolu à la circulation, alors que, parallèlement, sont mis en avant le développement des RER périurbains, la relance du fret, l’ouverture du marché à de nouveaux opérateurs, bref une augmentation de l’usage du réseau.

Il y a donc contradiction entre l’affichage « volontariste » et les modalités de mise en œuvre. L’augmentation – nécessaire – du volume de travaux ne peut aujourd’hui se faire qu’en réduisant encore un peu plus le temps dévolu aux circulations. Conséquence, les recettes diminueront du fait de l’élagage des sillons. Le réseau paie lourdement les effets d’un maillage faible (peu d’itinéraires alternatifs), d’une pratique presque systématique de l’interception simultanée sur les deux voies et d’un équipement en IPCS ou banalisation qui demeure l’exception du fait de raisonnements d’abord financiers (« ces aiguillages ne servent pas à grand-chose »).

Il ne sera pas aisé de casser ce cercle vicieux sans une période encore longue d’au moins 20 ans pendant laquelle la France continuera d’appliquer le principe du train rare sur une infrastructure qui, au-delà de la vitrine, n’est pas au mieux de sa forme.


17 juin 2023

Contrats de Plan 2023-2027 : l'heure des choix

Les discussions vont pouvoir débuter

Enfin ! Alors que les précédents contrats, initialement prévus sur la période 2015-2020, avaient été prorogés jusqu'en 2022, on attendait de semaines en semaines les mandats de négociation transmis aux préfets pour engager la négociation des nouveaux Contrats de Plan Etat-Région, qui couvriront donc la période 2023-2027. Etant donné que leur signature ne devrait pas intervenir avant l'automne, on peut d'ores et déjà prévoir qu'ils glisseront sur l'année 2028... et peut-être même 2029.

L'Etat annonce une augmentation de 50 % de leur dotation avec 8,6 MM€. Cependant, il faut distinguer l'enveloppe théorique et la réalité des investissements. Il est rare que la totalité des projets soit engagée et concrétisée. Généralement, un contrat réussi aboutit à un taux d'exécution autour de 70 %, mais dans certains domaines, il n'est pas forcément évident d'atteindre 50 %. Reconnaissons que dans certaines Régions, ces outils se transforment en catalogue de bonnes intentions mais sans avoir suffisamment de matière pour les concrétiser.

Donc, en théorie, le volet ferroviaire sera doté de 2,5 MM€ de crédits de l'Etat. En tête d'affiche, les RER des grandes agglomérations, officiellement dénommés Services Express Régionaux & Métropolitains, pour lesquels une enveloppe de 800 M€ est prévue. Deuxième action bien identifiée, le fret : si l'Etat a déjà prévu par ailleurs une enveloppe de 500 M€, il pourrait consacrer jusqu'à 400 M€ supplémentaires en cofinancement avec les collectivités. L'autre moitié de cette dotation devrait être consacré principalement au renouvellement des infrastructures des lignes de desserte fine du territoire, à certaines opérations de modernisation, à la mise en accessibilité des gares régionales...

Auvergne - Rhône-Alpes : revirement ou avertissement ?

C'est dans ce contexte que la Région Auvergne - Rhône-Alpes engage un bras de fer avec l'Etat : elle a décidé de mettre à zéro l'ensemble des crédits destinés aux infrastructures ferroviaires, arguant que ces investissements doivent être pris en charge par le propriétaire du réseau et non par ses utilisateurs. Au-delà de la posture politique sinon politicienne, la Région explique qu'elle doit consacrer d'importants moyens sur le matériel roulant : rénovation mi-vie des AGC, des TER2Nng, des X73500, remplacement des voitures Corail... devant mobiliser environ 1,5 MM€ d'ici 2030. Dans les principes, la charge du réseau incombe en effet à son propriétaire (ce n'est pas le locataire d'un appartement qui paie le ballon d'eau chaude qui vient de rendre l'âme). Les CPER sont utilisés depuis 2005, après l'audit EPFL, exportant une part sans cesse croissante des investissements sur les Régions, qui n'ont pas la compétence administrative ni les budgets afférents. Initialement, le volet ferroviaire des CPER ne portait que sur des opérations de développement. Depuis 2005, il comprend un volet de plus en plus prépondérant sur la maintenance patrimoniale.

La position de la Région ressemble un peu à un coup de pied de l'âne, car les conclusions sont déjà connues : en mettant à l'arrêt nombre d'opérations et de projets, les lignes concernées risquent de subir la spirale classique de la dégradation des performances jusqu'à l'arrêt de l'exploitation. Le jeu est risqué, non seulement pour les territoires et les utilisateurs de ces lignes, mais aussi pour la Région puisque sur le plan politique, l'Etat se défaussera sur celle qui aura rompu l'accord - fut-il tacite et quelque peu imposé - préexistant.

Si radicale soit-elle, la position exprimée par MM. Wauquiez et Aguilera (le vice-président aux Transports) illustre les zones grises de la décentralisation et le rapport ambigu entre l'Etat et les Régions, sur un sujet qui représente le quart des dépenses régionales. Elle ne fait cependant pas tâche d'huile. Les autres Régions sont cependant assez déçues de la consistance des moyens annoncés, en décalage avec les annonces, pourtant encore récentes, du plan Avenir Ferroviaire et de ses 100 MM€ d'ici 2040.

On peut cependant conclure en posant deux questions :

  • au-delà des discours, quel est le niveau réel d'investissements que les Régions pourront vraiment mobiliser d'ici la fin de la décennie ?
  • en matière ferroviaire, aligner des chiffres dans un tableau de programmation est une chose, mais qu'en est-il de la capacité à produire les études et les travaux, que ce soit à SNCF Réseau (puisqu'il est quand même beaucoup question d'infrastructures) ou dans les ingénieries extérieures ?

Nous reviendrons sur ces contrats au fur et à mesure de l'officialisation de leur contenu. Rendez-vous probablement à partir du mois d'octobre...

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07 juin 2023

Information, tarification : et si on pensait au voyageur ?

C’est en somme la question posée par cette étude réalisée pour le compte de la FNAUT par les bureaux d’études Trans-missions et Satis Conseil.

Le constat est net : au fil du temps, le voyageur a dû se muer en expert des transports en commun pour pouvoir utiliser le train, et l’ouverture à la concurrence n’est pas le facteur premier de cette complexification. Au sein du monopole, SNCF Voyageurs a très bien accompli la tâche, avec le principe de yield management appliqué aux TGV et aux Intercités (ces derniers pourtant conventionnés mais sans que l’Etat ne joue son rôle d’autorité organisatrice sur la tarification) puis la création d’une offre distincte avec Ouigo.

Il faut ajouter les effets de la liberté tarifaire accordée aux Régions pour les dessertes qu’elles organisent : il est même permis de s’interroger sur la pertinence de cette modalité accordée en 2014. Chaque Région s’est progressivement muée en baronnie, rendant particulièrement difficile les trajets interrégionaux à bord de leurs services. Les cartes de réduction ne sont pas systématiquement valables sur la totalité du périmètre des dessertes au départ de leur Région. Quant à la réciprocité entre deux voisines, il y a encore beaucoup à faire. En outre, les cartes de réduction nationales ne sont plus forcément acceptées sur les trajets régionaux. Il faut donc être expert (y compris bon géographe) et patient !

Pourtant, dans des pays ayant de longue date mis fin au monopole, la cohérence tarifaire nationale a été préservée – même au Royaume-Uni – et le récent Deutschland-Ticket va encore plus loin avec une formule d’abonnement. Pour rester en Allemagne, cela n’empêche pas l’existence de tarifs spécifiques, ne serait-ce que les communautés tarifaires multimodales. Il faut donc dans ce cas comparer en fonction du besoin le coût du trajet avec la tarification de base et les offres de la communauté.

Evidemment, ces évolutions se répercutent aussi sur la prise en charge des voyageurs en rupture de correspondance. Et en amont, trouver une information exhaustive sur les possibilités de trajet n’est pas aisée. On loue souvent l’efficacité des serveurs de la DB ou des CFF mais ils comprennent encore des failles. SNCF Connect est une plateforme « sélective » puisque certains services n’apparaissent pas, surtout lorsqu’il s’agit de services par autocars. Les solutions « indépendantes » ont probablement de l’avenir devant elles, à condition de mieux se faire connaître.

Si certaines des  23 préconisations en vue d’une « convention collective des usagers » semblent difficiles à concrétiser (telle la dixième, demandant un billet flexible valable sur tous les trains de tous les opérateurs entre deux villes, peu compatible avec la réservation obligatoire sur les trains de longue distance), elles cherchent quand même à éviter de faire du voyageur une variable d’ajustement : une posture non seulement inconfortable et donc guère valorisante pour attirer un public plus nombreux. Parce que c’est bien l’objectif, non ?

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29 avril 2023

Railcoop dans l'impasse ?

N'arrivant toujours pas à relancer la liaison Lyon - Bordeaux si souvent affichée, la coopérative ferroviaire a tenté l'aventure dans le domaine du fret. En vain : la décision a été prise ces derniers jours d'arrêter toute prestation dans ce domaine. La liaison entre Figeac et Saint-Jory annoncé quotidienne a circulé 2 fois par semaine dans les périodes les plus fastes avec des convois bien plus réduits qu'escomptés faute de clients. Une autre prestation avait débuté entre Gignac-Cressensac et Saint-Gaudens pour du transport de bois, mais pour des besoins très limités. Compte tenu des recettes très modestes, ces circulations ont puisé dans le capital de la coopérative, qui cherche toujours des sociétaires pour augmenter l'augmenter. Il est question d'un besoin de 40 M€ pour lancer le service Lyon - Bordeaux dont les ambitions ont été fortement réduites, avec un unique aller-retour sur 48 heures, qui semble non seulement peu attractif mais encore très incertain compte tenu des fonds à collecter.

Cependant, le vernis craque et les réserves formulées dans notre dossier se confirment : l'annonce de nouvelles liaisons voyageurs outre Lyon - Bordeaux était d'abord destinée à élargir le périmètre géographique de sollicitation des particuliers et des collectivités locales. A l'exception de la Corse, toutes les Régions étaient sur le parcours d'au moins une ligne.

Qu'importe si la constitution d'un modèle économique viable dans une activité aux risques et de l'entreprise avec des dessertes de cabotage, sur des axes à trafic modeste, avec des tarifs alignés sur le covoiturage et avec de surcroît un matériel inadéquat et à la fiabilité légendaire était aux yeux de spécialistes une gageure. Railcoop a profité jusqu'à présent d'une audience bienveillante, qui ne s'est pas trop posée la question de la solidité des hypothèses : les temps pourraient bien changer. 

Une lecture intéressante en complément, sur le media LVSL.

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12 mars 2023

Train et transition écologique : quelles marges de manoeuvre ?

D'abord le constat : alors que 3 pays européens ont fait le devant de l'actualité l'été dernier en instaurant des offres à tarif réduit sous conditions plus ou moins strictes et plus ou moins pérennes, la France a fait en 2022 le choix de subventionner l'usage de la voiture avec des mesures de réduction du prix à la pompe des carburants.

Les mesures en faveur des transports collectifs, à leurs différentes échelles et tous modes confondus, se font encore et toujours attendre : il y a tant à faire. Cependant, il ne faire plus mystère de la faible appétence des différents gouvernements depuis 2017 et du chef de l'Etat pour ce sujet. On peut aussi remonter à la période 2012-2017, sans pour autant dédouaner les gouvernements antérieurs, qui ont eux aussi leur part de responsabilité. Il ne faut pas oublier que dans ses fonctions au Secrétaire Général adjoint puis de ministre de l'Economie, M. Macron a pu tirer bien des ficelles durant le quinquennat de M. Hollande... et dont le seul fait d'armes en matière de transports est la libéralisation du marché des autocars longue distance pour créer une concurrent au train.

Sur le plan ferroviaire, le besoin d'investissement sur les infrastructures ne fait aucun débat sur le fond : renouvellement, augmentation de capacité, modernisation, électrification (tiens, ça ferait un programme RAME...). Augmenter les moyens de SNCF Réseau et accepter une modération des redevances d'usage du réseau impliquerait de rompre avec l'objectif de couverture du coût complet par les seules activités commerciales. Qui plus est, ces investissements n'auraient d'effets réels au mieux qu'à la fin de la décennie... si la filière ferroviaire trouve les ressources humaines capables de les concevoir et les réalise. A cela s'ajoute la cure d'amaigrissement des effectifs de SNCF Réseau pour rentrer dans les clous de l'équilibre financier à marche forcée en 2024.

Sur l'offre, l'accroissement du nombre de dessertes supposerait que l'Etat change radicalement de position sur le modèle économique des liaisons longue distance, principalement fondé sur le principe du service librement organisé. On ne sent pas du tout l'Etat - que ce soit aux Finances ou aux Transports - consentir à s'impliquer sur les offres à grande vitesse, même en se contentant de son rôle d'actionnaire unique de l'opérateur (presque) unique. Quant aux Trains d'Equilibre du Territoire, il faudrait recourir à des investissements (en matériel roulant) pour aller au-delà de l'existant, reportant à un horizon d'environ 5 ans l'effet de mesures prises à court terme. Le transport régional n'est pas de son ressort direct mais les Régions voient leurs marges de manoeuvre budgétaires sans cesse rabotées et leurs capacités d'investissement sont obérées par la prise en charge croissante de missions qui ne sont pas en principe les leurs (le renouvellement des lignes de desserte fine du territoire).

Au-delà du strict domaine ferroviaire, la fiscalité pourrait être un levier, mais Bercy s'y oppose : transportrail l'avait rappelé dans un précédent billet.

Pour compliquer encore un peu plus l'équation, le passage à l'électricité semble désormais poser plus de questions qu'elle n'apporterait de réponses : en matière automobile, se contenter de changer le moteur sans repenser l'usage de la voiture conduira à l'impasse, les difficultés les plus visibles étant d'abord celles de la production des batteries, puis de leur rechargement, à domicile, sur des parkings publics, privés, ou dans des stations sur les routes et autoroutes. Il faudra aussi... de l'électricité, ce qui ramène aux questions de pilotage de la production en France : entre les conséquences du conflit ukrainien et les errements stratégiques français depuis 1997 (qui ont donné à une passe d'armes inédite entre le président d'EDF, le gouvernement et la Commission de Régulation des Energies à la fin de l'été dernier), il est évident que l'ambition ne sera réaliste qu'à condition d'être cohérente avec la réalité d'une situation énergétique contraintes de tous bords. Le risque réside dans ce grand écart entre une situation internationale, qui impose des actions de court terme, et des enjeux sociétaux par définition inscrits dans le long terme. Accessoirement, changer la motorisation des véhicules sans repenser l'usage, c'est entretenir - voire accentuer - la congestion sur nombre d'axes routiers et dans les grandes agglomérations.

Le rapport du COI récemment remis ne suffira pas à colmater les failles de l'(in-)action gouvernementale, qui considère que dire, c'est avoir fait. Comme mentionné dans la version écrite de tout discours officiel, « Seul le prononcé fait foi », mais on ajoutera «... et tient lieu d'action accomplie ». Et lors d'une récente visite au marché d'intérêt national de Rungis, le chef de l'Etat a annoncé une nouvelle mesure destiné à réduire le coût des carburants, à laquelle le principal groupe pétrolier français a répondu par un plafonnement des prix tout au long de l'année.

En face, il ne faut pas être dupe sur la réalité des intentions de l'Etat à relancer le secteur ferroviaire. Alors que le Plan de Relance italien table sur plus de 180 MM€ sur 15 ans, la France ne consacrerait officiellement que 100 M€ sur 20 ans... dont un quart seulement de contribution directe de l'Etat, qu'il faudra confirmer. Les modalités de financement du réseau ferroviaire restent un sujet aussi essentiel que contourné. Au-delà de ces 25 MM€, c'est à votre bon coeur... et il n'y a plus grand-monde pour croire à la sincérité des discours de Mme. Borne ou de M. Beaune.

Sans aucun doute, les vapeurs d'essence sont bien nocives...

11 mars 2023

La Société du Grand Paris prend le RER

C'est une demi-surprise, qui ne suscite pour l'instant pas beaucoup de réactions de la part de SNCF Réseau. Dans les annonces de l'Etat sur les investissements ferroviaires, a été évoqué le rôle de la Société du Grand Paris dans le cadre du développement de RER autour des principales métropoles. La création de la filiale SGP Dev préfigure ce positionnement, déjà concrétisé par une première implication dans le cas de Lille.

Cette implication est présentée sous l'angle organisationnel, considérant que la SGP a fait preuve d'efficacité en la matière, et dans la perspective de la construction de nouveaux plans de financement, s'appuyant, comme pour le Grand Paris Express ou les futures lignes nouvelles, sur une taxe spéciale d'équipement.

Cependant, la SGP a acquis au fil du temps une expertise en matière de métro automatique sur des infrastructures totalement nouvelles : le développement de RER autour des grandes villes se fera essentiellement sur le réseau ferroviaire existant, éventuellement avec quelques sections nouvelles ou augmentations de capacité sur les emprises, mais il s'agit d'un univers assez différent puisque la mixité de trafic (avec les liaisons régionales et nationales, mais aussi le fret) est la règle, la spécialisation des itinéraires étant l'exception.

La SGP convoite actuellement les experts ferroviaires pour renforcer sa capacité. A ce stade, SNCF Réseau semble avoir pris acte de la décision de la tutuelle, mais il ne faut pas écarter une petite amertume en bouche : c'est tout de même une manière enrobée de critiquer la compétence du gestionnaire d'infrastructures, qui a été à l'initiative de la démarche, allant jusqu'à convaincre l'Etat de se pencher sur cette dimension de l'exploitation ferroviaire. Cette mise en cause paraît d'autant plus biaisée que les injonctions à la productivité, faute d'investissements productifs suffisants, ont été concrétisées entre autres par des réductions d'effectifs, en particulier sur des fonctions sur lesquelles l'Etat souhaite aujourd'hui une implication - jusqu'à quel niveau ? - de la SGP.

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Lille Flandres - 5 juin 2017 - Première mission sur le réseau ferré national pour la filiale de la Société du Grand Paris : le RER lillois, dont les premières estimations évaluent le coût à 12 MM€ dans la configuration actuellement soutenue par les élus régionaux et métropolitains. Il prévoit notamment une traversée souterraine de Lille. Outre le fait qu'il faudra probablement revoir son envergure, il faudra trouver des solutions de financement des investissements qui seront retenus et que SGP Dev se frotte aux réalités d'un réseau multi-usages. Il faudra aussi définir les relations avec SNCF Réseau : ce ne sera pas le moindre des sujets. Les méthodes parisiennes de la SGP lui valent parfois une réputation pour le moins partagée... © transportrail

L'argumentaire de la SGP selon lequel ses missions se réduiront au fur et à mesure que seront livrées les sections du Grand Paris Express semble avoir emporté la décision de l'Etat et primé sur les considérations à l'égard de SNCF Réseau.