Allemagne : poussée fulgurante de l'autocar
Le 1er janvier 2013, le marché du transport routier de voyageurs a été libéralisé en Allemagne. Jusqu'alors, seules les liaisons non desservies par train pouvaient être créées par des compagnies routières. A l'issue d'une année d'ouverture du marché, 8,2 millions de voyageurs avaient été transportées par autocars. L'année 2014 marque une croissance fulgurante de ce mode de transport puisque 19,6 millions de voyageurs les ont empruntés.
La DB a perdu 120 M€ de chiffres d'affaires en 2013. Le niveau de pertes n'est pas encore connu pour 2014 mais la DB annonce réagir en développant ses propres services. Elle assurait sur 25 lignes pas moins de 150 rotations : elle devrait quadrupler son offre d'ici fin 2016.
En moyenne, l'autocar est 3 fois moins cher que le train, même à la dernière minute, et la perte de temps est en moyenne de 30 minutes par rapport au train. D'après une enquête réalisée auprès des clients de l'autocar, 76% d'entre eux l'ont choisi pour le prix du voyage.
Cologne Hauptbahnof - 14 septembre 2013 - Les relations Intercity de la DB dispose d'un matériel relativement récent tracté par des locomotives puissantes et véloces. Le produit est peut-être appelé à évoluer pour tenir compte des nouvelles attentes du public, focalisées sur le prix du voyage. © transportrail
Les autocaristes misent aussi sur les services à bord, notamment le Wifi, une bibliothèque de films et de musique à bord et une certaine souplesse sur les bagages puisqu'ils admettent 2 valises et un sac sans supplément. Les gros colis ou les vélos sont acceptés moyennant une surtaxe de 9 €.
La croissance du marché a aussi entraîné une restructuration du secteur. La compétition sur les prix a fait des dégats et certaines compagnies ont abandonné leurs prestations. C'est notamment le cas de City2City, filiale allemande du groupe britannique National Express. Actuellement, 2 compagnies détiennent 67% du marché du transport par autocar en Allemagne.
La DB souhaite donc renforcer sa présence sur les routes afin de conserver des parts de marché quitte à changer de mode de transport. Elle considère cependant que la concentration du secteur aura à terme pour effet d'augmenter les prix et de réduire le périmètre des dessertes aux axes les plus rentables. Au Royaume Uni, National Express est en quasi monopole depuis la dérégulation complète mise en place en 1985.
Ce regard sur le marché allemand prouve que même avec un réseau ferroviaire relativement performant et proposant une offre soutenue, le train peut être fortement bousculé par l'autocar dans une période où les clients changent de paradigme et fondent leur choix d'abord sur le prix et ensuite le contenu de la prestation. Pour les compagnies ferroviaires, cela veut dire que la logique de différenciation par la vitesse - et accessoirement le confort - ne suffit plus d'autant plus qu'elle conduit à des investissements difficilement mobilisables en période de vaches maigres et à des coûts d'exploitation élevés qui se répercutent ipso facto sur le prix du billet. Cela ne veut pas dire que la vitesse n'a plus d'avenir, mais qu'elle est de moins en moins un facteur décisif dans le choix modal des voyageurs.
Berlin Hauptbahnof - 28 septembre 2014 - Entrée d'un ICE2 circulant sur la Stadtbahn (avec en prime la tour de l'ancienne télévision est-allemande dans le cadre) : les tarifs occasionnels des trains rapides allemands souffrent de la concurrence brutale des autocars. © transportrail
Dans le cas français, la libéralisation de l'autocar, qui devrait être effective cet été après le passage au Sénat puis le retour à l'Assemblée Nationale de la loi Macron, pourrait avoir des effets encore plus rapides et plus violents sur le transport ferroviaire compte tenu de la fragilité du système ferroviaire français, d'un réseau en état médiocre aux offres souvent peu attactives du fait d'une focalisation sur la grande vitesse qui, si elle a au moins pendant 30 ans permis de sauver le transport ferroviaire, voit ses effets s'essoufler et balayés par une évolution radicale du comportement des clients.
Il est donc grand temps de se pencher sur un autre modèle économique pour le transport ferroviaire, déjà malmené en France par le transport routier dans le domaine des marchandises, avant que l'autocar ne raffle la mise ce qui sera plus facile de ce côté-ci de la frontière compte tenu de l'état de l'offre, proposant soit un TGV rapide mais onéreux (sauf conditions tarifaires spécifiques mais contraignantes) et des lignes classiques à l'offre périclitante. Mais les moyens à consentir sont élevés et les ressources quasiment nulles.
Fallait-il se précipiter sur la libéralisation de l'autocar : assurément non. Mais stratégie politicienne et stratégie ferroviaire font rarement bon ménage...