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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires
9 avril 2022

Spécial Présidentielle : quels engagements ?

Soit le vide, soit les incantations habituelles : les programmes des 12 candidats à l’élection présidentielle sont faciles à résumer quand il s’agit d’évoquer le volet Transports.

La conjonction entre l’urgence climatique et la géopolitique (avec le conflit Russie – Ukraine) devrait pourtant être bénéfique… sur le papier. Accélérer la décarbonation des transports et les investissements afin que le réseau ferroviaire soit un maillon fort de la mise en œuvre de cette stratégie devrait être une évidence. Ce n’est pas le cas.

Un vrai plan de modernisation du réseau ferroviaire

Le contrat Etat – SNCF Réseau est sous-dimensionné et entrainera à brève échéance des mesures radicales. Impossible de dire « on ne savait pas » : l’audit du réseau date de 2005, a été actualisé par deux fois, le sera bientôt une troisième. Quand l’UTP évoque 6 MM€ par an pour renouveler et moderniser le réseau, elle a raison. Ce devrait être le « programme minimum ». Il est ambitieux car accorder l’enveloppe est une chose, disposer de la capacité à réaliser les travaux – en d’autres termes avoir les effectifs – en est une autre, et on sait que la tendance a plutôt été à la contraction ces dernières années. L’externalisation n’est pas une facilité, car elle suppose aussi une évolution en profondeur de la maîtrise d’ouvrage à SNCF Réseau.

Investir sur l’infrastructure, pour la renouveler et la moderniser, est une chose. Il faudra en accepter les conséquences… à condition que l’organisation des chantiers progresse et se dote de moyens d’intervention limitant les restrictions capacitaires comme c’est trop le cas aujourd’hui, même sur le réseau structurant (où on peut atteindre les 9 heures de coupure du service en journée…).

Cela veut aussi dire que l’équipement du réseau devra gagner en résilience : s’il fallait retenir deux illustrations, nous évoquerions

  • d’abord les itinéraires alternatifs pour reporter le fret (et ses espoirs) lors ses travaux sur les axes principaux. Exemple : la section Paris – Chalindrey de l’axe Paris – Bâle pourrait, si elle était électrifiée jusqu’à Chalindrey, être un « plan B » tant pour Paris – Dijon que pour Paris – Nancy :
  • ensuite l’équipement des lignes avec au moins des IPCS voire la banalisation du réseau, qui vient rencontrer la stratégie de modernisation de la signalisation… et télescoper le discours un peu trop abrupt du président de SNCF Réseau qui fait la chasse zélée aux aiguillages.

Autre angle mort : l’électrification. Si on se fie aux démarches en Italie et en Allemagne, il faudrait comme eux envisager d’électrifier 10 à 15 % de lignes supplémentaires – donc 2500 km en hypothèse haute - soit de façon continue, soit de façon ponctuelle, couplée soit à des trains à batteries soit, dans un premier temps, à des trains bimodes classiques dont le carburant serait un peu moins émetteur que le gasoil. De la sorte, la part des circulations voyageurs en traction électrique devrait pouvoir atteindre 90%. Pour le fret, cet effort permettrait de mettre sous tension la grande rocade de contournement de l’Ile-de-France (qui pèserait à elle seule 40% du linéaire à équiper). C’est aussi indispensable pour les RER (on pensera à Toulouse – L’Isle- Jourdain ou La Grave – Saint-Mariens).

Répondre aux besoins des territoires, de leur population, de leurs activités

Le service en est une autre : là aussi, la stratégie de décarbonation impose une rupture majeure délaissant la tendance au malthusianisme ferroviaire. Dans le domaine du transport régional, l’objectif devrait être de fournir une capacité d’au moins un train par heure et par sens sur toutes les lignes, ce qui concerne évidemment d’abord les lignes de desserte fine du territoire dont certaines n’admettent au mieux que 11 trains par jour. Le développement des RER autour des grandes villes viserait la généralisation de la cadence à la demi-heure dans les bassins périurbains, du lundi au samedi, et au moins à l’heure le dimanche. La cadence au quart d’heure semble à manier avec parcimonie et supposerait de toute façon d’importants travaux capacitaires, à quelques exceptions bien spécifiques.

Pour les dessertes nationales, l’Etat considère que le maillage relève d’abord de services librement organisés, ce qui lui évite d’avoir à intervenir notamment sur le financement du matériel et des circulations. Seuls les Trains d’Equilibre du Territoire sont de son ressort avec un volontarisme particulièrement prudent. Incarnation : Nantes – Bordeaux, où il vante le passage de 3 à 4 allers-retours – alors qu’il en faudrait au moins 8 – sans assurer le retour à un temps de parcours de 3h50 (soit 30 minutes de moins qu’en 2022). La relance des trains de nuit reste encore nébuleuse : l’essai devra être transformé, mais la mise de fond est tout de même élevée. Bref, pas de liaisons diurnes avec moins d’un train toutes les 2 heures sur les liaisons nationales devrait être le maître-mot.

Le rôle de la puissance publique… même dans un contexte libéralisé

Mais qui en portera la responsabilité ? Une nouvelle gouvernance devient légitime au titre de la transition énergétique des mobilités et de la réduction des consommations d’énergie fossiles. Il semble urgent d’embrasser ce dossier et de sortir de l’alternative stricte entre la délégation de service public (comme pour les Trains d’Equilibre du Territoire) et les services librement organisés. Illustration assez probante avec Bordeaux – Marseille, comptant parmi les « gagnantes » des annonces de l’Etat sur GPSO et LNMP : si cette offre passe à la grande vitesse, doit-elle pour autant nécessairement basculer dans le domaine des services librement organisés ? Les liaisons province-province semblent une cible de choix de cette réflexion, déjà abordée par transportrail.

La question de la libéralisation devient « presque » secondaire, car elle impose de fait une puissance régulatrice, soit pour piloter des délégations de service public soit pour éviter une concurrence sauvage uniquement sur les marchés compatibles avec des services librement organisés. Elle est d’ailleurs aussi indispensable pour éviter les dérives dans les contrats : l’expérience en Allemagne a montré quelques limites et le besoin de « garde-fous » pour éviter les situations difficiles pour les voyageurs (pérennité du service) et la sphère politique (avec les enjeux territoriaux). Le schéma espagnol (« plus tu veux de sillons Madrid – Barcelone, plus tu dois t’engager sur les autres relations ») n’est pas inintéressant et pourrait constituer un compromis encadré.

Adapter l’offre aux territoires… et réciproquement

Agir sur ce qui relève de la technique ferroviaire et de l’organisation du service est assurément nécessaire, mais pas suffisant. Il faudra aussi questionner les logiques d’aménagement du territoire à ses différentes échelles, favoriser une certaine densité à proximité des réseaux de transports collectifs, combiner les modes collectifs, partagés et individuels pour l’accès aux gares et pôles d’échanges en tenant compte des diversités territoriales : les solutions ne sont pas les mêmes selon qu’on doive faire 3 km ou 30 pour accéder à la gare. La sobriété énergétique des mobilités est étroitement liée à celle de l’organisation territoriale et de la qualité de l’habitat. Les usages changent aussi avec une part de déplacements domicile-travail qui diminue avec l’augmentation de la part du télétravail (du moins pour les activités compatibles), tandis que d’autres motifs vont augmenter : évidemment celui des loisirs (en lien avec une réduction de l’appétence pour des déplacements lointains et en avion), et celui des motifs privés, parfois adossés à ceux liés au travail. Le télétravail induit aussi une évolution des pratiques de déplacement, justifiant encore plus le développement des dessertes hors période de pointe.

Bref, des déplacements moins émetteurs, sur des distances maîtrisées entre des lieux à faible consommation énergétique, voilà un triptyque qui devrait être au cœur des politiques publiques, d’autant qu’elle serait également vertueuse sur le portefeuille des ménages ! Mais depuis combien d’années – décennies ! – est-il connu ?

« Nous n’avons plus que ça au bout de notre impasse »

Evidemment, il faudra bien plus que les 5 ans du prochain quinquennat pour réaliser cette transformation… mais il faut l’engager et le temps est de plus en plus compté. La routine est une facilité, y compris électorale, mais elle est de moins en moins admissible face aux enjeux sociétaux qu’il va falloir affronter, sans compter les phénomènes géopolitiques qui pourraient surgir et en accentuer l’urgence. « Le moment viendra… »

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Commentaires
R
Il y a quelques années, dire que le TGV pouvait, devait aussi être un service public, c'était vu comme un insanité !<br /> <br /> <br /> <br /> Tant mieux que la réflexion ait évoluée !<br /> <br /> Ca concerne autant l'offre intersecteur que des petites radiales... mais dont certaines ont des tronçons commun avec des gros morceaux. En fait, c'est la logique même des SLO qui est préjudiciable.<br /> <br /> <br /> <br /> En fait, tout devrait relever du service public, et la différence, ça devrait être quelle part de financement du réseau (voire quel excedent) telle ou telle liaison parvient à couvrir, jusqu'à tomber à 0 (et devenir négative auquel cas, c'est l'exploitation qui doit aussi être partiellement couverte par du financement public).<br /> <br /> Le seul "traitement à part" qui devrait être réservé au TGV, c'est de ne rien couter à l'exploitation pour ce qui est des sections à grande vitesse (dans le cas contraire, c'est qu'il y a eu échec d'en décider la construction)
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H
Le principe est pourtant simple : l'énergie va coûter de plus en plus cher qu'on le veuille ou non. Et ce n'est pas indéfiniment que la collectivité pourra couvrir l'augmentation qui sera de plus en plus importante. Et que va dire alors l'élu à ses administrés , Qu'il va leur permettre encore de faire le plein pas trop cher ?<br /> <br /> <br /> <br /> Ensuite, stop au mirage de la voiture électrique. Le conditions de son déploiement en masse ne sont pas réunies entre le manque de semi-conducteurs, les capacités de production et de renouvellement des batteries, la capacité de production d'électricité pour alimenter les bornes de recharge, le coût de construction difficilement maîtrisable...<br /> <br /> <br /> <br /> Faire entretenir le mythe qu'on pourra toujours rouler en voiture comment aujourd'hui, quelle idée...<br /> <br /> <br /> <br /> Oui, à l’État de fixer le cadre des politiques publiques à commencer par lui-même. Fatigué d'entendre que planifier est soviétique. On se demande bien à quoi servait le commissariat au plan...<br /> <br /> <br /> <br /> Et c'est limpide, 6 MM € minimum par an pour maintenir et améliorer le réseau ferroviaire.<br /> <br /> <br /> <br /> Enfin, stop aux déclarations pour enjoliver la situation comme l'avenir avec le train à hydrogène, la réouverture d'une ligne quand d'autres menacent de fermer et enfin annoncer en fanfare la remise en service des trains de nuit mais sans indiquer les moyens à engager derrière.<br /> <br /> <br /> <br /> Qu'un candidat je ne sais plus lequel dise qu'on devrait pouvoir depuis une capitale régionale, relier toutes les préfectures de département qui en dépendent est certes utopique mais pas insensé !<br /> <br /> <br /> <br /> Pour exemple en Franche-Comté, il est possible depuis Besançon, d'aller à Lons-le-Saunier en TER, de même qu'à Belfort.<br /> <br /> <br /> <br /> En revanche pour Vesoul, ça se complique par un passage et une correspondance fastidieuse obligatoire à Belfort ! Alors qu'il y avait une ligne que reliait les deux communes directement ! Cette dernière a été déclassée et transformée en voie verte dans les années 1980. Seule, la section de Viotte jusqu'à Devecey a été maintenue pour une activité fret et puis rénovée pour les navette de Viotte jusqu'à la gare TGV.<br /> <br /> <br /> <br /> Je n'ai pas l'impression que les élus locaux sont très actifs en matière de transition énergétique quand certains ne voient pas l'utilité de développer le train, pour certains dire que c'est trop cher mais ne se posent pas la question pour des routes encore moins fréquentées à la charge du contribuable, ou encore mieux militer pour transformer des anciennes voies ferrées en voies vertes peu fréquentées (ligne du Quercy, Evaux-les-Bains...).<br /> <br /> <br /> <br /> Et RailCoop qui essaye de faire quelque chose se heurte au réalités de l'état du réseau... Comme quoi, libéraliser seulement ne suffit pas à relancer, et oui messieurs les libéraux ! Libéraliser est un moyen pas une fin en soi !
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I
Sans vouloir être méchant, ce que vous décrivez est tout à fait pertinent, mais toutes les bonnes volontés de l’État central (qui sont déjà très hypothétiques, comme vous le pointez justement), ne sont rien sans une mise œuvre au plus près des territoires.<br /> <br /> <br /> <br /> Ce que je constate en l'occurrence c'est que les collectivités sont totalement perdues quant aux projets concrets qui devraient être mis en place pour faire évoluer les mobilités (et pas uniquement ferroviaires), et donc se cantonnent trop souvent à deux postures contre-productives : la certitude que défendre le routier ne les mettra jamais en porte-à-faux vis à vis des électeurs, quand bien même c'est destructeur, et le fantasme des projets loufoques ou irréalistes.<br /> <br /> <br /> <br /> A situation exceptionnelle il faut des moyens inédits : sortir des pseudo évidences et du conformisme des habitudes, d'une certaine paresse intellectuelle, et surtout faire l'effort de donner la parole à ceux qui portent des idées vertueuses et réalistes - mais innovantes !.<br /> <br /> <br /> <br /> Là on rentre dans le domaine de la science-fiction, tout un programme (mais on n'est jamais à l'abri de bonnes surprises).
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