C'est vrai que sur la fin, il disait un peu n'importe quoi. Il avait comme des vapes, des caprices d'enfants... (Paul Wolfoni alias Jean Lefebvre, scène du bowling dans Les Tontons Flingueurs)

C'est ce que nous inspire l'entretien avec des lecteurs du Parisien du président de la SNCF dans lequel il annonce être prêt à acquérir de nouveaux TGV à un seul niveau. Et on est sidéré par le culot de l'argumentation développée.

« Je vais vous rassurer. Je suis pour un TGV à la française, qui dessert les territoires. En France, 230 gares sont desservies par le TGV. Elles sont moins de 40 au Japon. Le TGV est un outil d’aménagement du territoire et il le restera. Mais il faut faire évoluer les dessertes en fonction des besoins de nos clients. La deuxième chose, ce n’est pas de notre faute, est qu’Alstom ne construit plus depuis 1993 que des TGV à deux étages. Donc on achète que des jumbos qui peuvent emporter entre 515 et 650 passagers. On ne peut pas mettre un TGV « jumbo » en milieu de journée et courir le risque de n’avoir que 70 personnes à bord, ce serait du gâchis d’argent public. »

On passera sur le fait que dans les 230 villes desservies par le TGV, certaines ne sont pas en France, et qu'il convient donc de comparer des réseaux comparables puisque le Shinkansen japonais est un réseau très majoritairement indépendant des lignes historiques, comme en Espagne.

La mise en responsabilité d'Alstom nous coupe le souffle pour plusieurs raisons :

  • d'abord parce que le petit monde ferroviaire sait très bien que les relations entre Alstom et la SNCF sont très étroites et qu'Alstom a largement orienté son produit en fonction des besoins de la SNCF ;
  • ensuite parce que M. Pépy semble avoir oublié qu'en Italie, circulent 25 rames AGV, produites par Alstom, commandées par Italo, concurrent de Trenitalia sur les lignes à grande vitesse italiennes et dont la SNCF fut actionnaire à la création de la compagnie à hauteur de 20% jusqu'en 2015 : la SNCF a donc indirectement participé à la commande de ces AGV ;
  • enfin parce que l'arrêt de la production de l'AGV après les 25 éléments Italo est la conséquence d'une décision de la SNCF, de ne commander que des rames Duplex.

Sur le risque d'avoir des TGV vides, il est tout de même peu probable d'avoir un taux d'occupation de 12,5% des rames sur la section dimensionnante d'une relation. Et croire qu'il n'y aura que 70 voyageurs dans des TGV en milieu de journée est la négation de la diversité de la demande, alors que les déplacements de loisirs sont plus nombreux que les déplacements professionnels.

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Paris Nord - 21 mai 2019 - La première rame TGV française, la rame 01 surnommée Patrick, a passé en avril le cap des 40 ans de carrière, avec un parcours kilométrique cumulé phénoménal, de plus de 13 millions de kilomètres. Une résistante à la généralisation des rames Duplex... mais il ne reste qu'une vingtaine de rames Sud-Est en service commercial. © transportrail

La focalisation sur le taux de remplissage - et la marge nette par place-km offerte - amène à cette situation absurde d'une entreprise qui n'achète que des rames de très grande capacité depuis plus de 20 ans, et argue ensuite de la faible occupation pour élaguer l'offre (le nombre de TGV par jour ayant reculé de 10 à 15% selon les axes entre 2008 et 2018). Stupéfiant !

Evidemment, certains lecteurs ont fait remarquer à Guillaume Pépy qu'il y avait d'autres constructeurs de trains à grande vitesse...

« Oui, il y a Siemens et nous lui avons acheté quelques rames pour Eurostar. Sur les lignes saturées, nous mettons des TGV à deux niveaux, car c’est un moyen de faire circuler plus de voyageurs sans augmenter le nombre de train. Il ne faut pas renoncer aux TGV à deux niveaux pour les lignes saturées, mais pour les lignes qui ne sont pas engorgées – et c’est une annonce que je vous fais – je pense qu’il faut qu’on réfléchisse en France à la possibilité d’avoir non plus uniquement des TGV Jumbo de plus de 500 places, mais également des TGV de 300 places qui seraient moins chers à l’achat. »

On ajoutera quand même qu'après avoir commandé 268 rames Duplex, dont 250 en service (pour 134 rames TGV PSE, Atlantique, Réseau hors Thalys à l'effectif en mai 2019), la SNCF et Alstom ont conçu main dans la main le TGV2020 qui est lui aussi à 2 niveaux, avec une première commande de 100 rames à livrer à partir de 2023 !

Dans le même entretien, le sujet des trains de nuit nous a aussi fait bondir.

« La suppression des trains de nuit est une décision prise il y a quatre ans par le gouvernement. Chaque voyageur était subventionné à hauteur de 110 euros, par le contribuable. Cela dit, à partir de décembre 2020, le monopole de la SNCF disparaît et si d’autres opérateurs, comme Transdev, Thello, souhaitent opérer ces trains, ils sont les bienvenus. Il y a déjà eu un appel à manifestations d’intérêt, personne n’a répondu. »

C'est quand même oublier :

  • que le déficit par voyageur-km des trains de nuit est inférieur à celui des TET de jour (parcours moyen plus long, pas d'abonnés...) ;
  • que les conditions de l'appel à manifestation d'intérêt lancé par l'Etat sur les trains de nuit avait été unanimement critiqué par son manque de rigueur ;
  • que la relance des trains de nuit est une réalité chez nos voisins, avec Nightjet, grâce aux ÖBB, mais aussi au Royaume-Uni avec Caledonian Sleeper.

Bref, ces quelques déclarations vont certainement susciter de très nombreuses réactions !