Allemagne : une concurrence vertueuse pour le voyageur
Veillée d'armes avant la première journée de grève à la SNCF contre le projet de réforme de l'opérateur ferroviaire. Il est quelque peu dommage que le devenir du statut spécifique des cheminots soit mis au centre des débats alors qu'il serait nettement plus intéressant de parler de l'avenir du chemin de fer en France, de son rôle pour les territoires et leurs habitants, dans une politique de reconquête du marché et de réduction de la dépendance à l'automobile.
L'autre point de blocage, c'est l'ouverture à la concurrence avec quantité d'arguments agités en guise d'épouvantail mais qui ne résistent guère à une analyse objective des faits.
Les résultats en Allemagne
Nous vous invitons à (re-)découvrir deux dossiers de transportrail : oser expérimenter une concurrence régulée et 20 ans de concurrence en Allemagne, dont nous rappelons ci-dessous quelques chiffres-clés, sur la base d'un récent rapport du Parlement allemand.
- le nombre de voyageur-kilomètres a augmenté de 88,3 % passant de 30 à 56,5 milliards de voyageurs-km ;
- l’offre en km-trains a augmenté de 35 % passant de 498 à 673 millions millions de trains-km;
- un coût moyen du km-train de 15 € financé à peu près à parité entre le voyageur et la collectivité ;
- un chiffre d’affaires de DB Regio en hausse de 166% ;
- un budget fédéral en baisse de 19 % ;
- un déficit par voyageur-km réduit de 30 % ;
- une part modale passée de 6,7 à 8,2 %, soit + 25% en nombre de voyageurs et + 33 % en voyageurs-km ;
- 783 km de réouvertures depuis 1996.
Les Landers consacreront tout de même quelques 8,2 MM€ en 2017 aux services ferroviaires régionaux. C’est 30% de plus qu’en 1994, année de la restructuration de la DB, avec une enveloppe alors établie à 6 MM€.
Josefsthal - 2 août 2013 - Non, ce n'est pas la ligne des Alpes, nous ne sommes pas entre Grenoble et Veynes, mais en Bavière, sur la ligne Munich - Bayrischzell exploitér par le BOB avec d'étonnants autorails à l'architecture ressemblant à un tramway. Le service est assuré à cadence horaire, ponctuellement renforcé à la demi-heure. L'exploitation est assurée par une filiale de Transdev. © N. Hoffmann
Les opérateurs privés détiennent en 2016 environ 30% en trains-kilomètres du marché régional, et cette part pourrait atteindre 34% avec les prochains appels d’offres dont la mise en œuvre est prévue à partir de 2019. Par rapport au périmètre commercial de 1994, la DB a conservé 80% des prestations. Entre 2014 et 2015, en dépit de l'augmentation du nombre de contrats attribués à des opérateurs privés, DB Regio a enregistré une hausse d'environ 5% de son trafic en voyageurs-km, de 40,3 MMvk à 42,7 MMvk. La DB assure donc un service plus conséquent qu'en 1994.
Non, la concurrence ne concerne pas que les grands axes... c'est le contraire !
Il faut aussi tordre le cou à l'idée reçue selon laquelle les opérateurs privés n'iraient que sur les grands axes les plus rentables, alors que c'est justement sur les lignes secondaires qui ont été les premières à bénéficier des effets de l'ouverture du marché, en nécessitant peu de moyens pour faire la différence et mettre en place un service attractif à peu de frais. On pourra rappeler notre expérience de voyage sur le Harz Elbe Express, autour de Halberstadt, ville comparable à Montluçon (42 000 habitants, même situation de dépression économique, configuration territoriale voisine) mais qui dispose d'une centaine de trains par jour contre 22 dans la sous-préfecture de l'Allier.
Non, la concurrence ne complique pas la tarification
Même chose quant à la tarification : dans une procédure de type DSP, c'est l'autorité organisatrice qui définit la politique tarifaire. Dans le cas allemand, elle est organisée en communautés multimodales autour des grands bassins urbains et pour les trajets interurbains, le système de vente est transparent : dans notre exemple du HEX, nous avons acheté un billet HEX (Transdev) sur un distributeur DB et une combinaison HEX-DB sur un distributeur HEX.
Ne pas confondre concurrence sur le marché et concurrence pour le marché
Cette confusion savamment entretenue mélange concurrence sur le marché, en open access (exemple les trains à grande vitesse Italo de NTV en Italie) et la concurrence pour le marché, par le biais de délégation de service public (comme sur les réseaux urbains français), mais aussi la franchise, sur le modèle britannique, qu'on pourrait assmiler aux anciennes compagnies ferroviaires françaises avec un découpage géographique.
Montepulciano - 1er mai 2013 - Sur la Direttissima, la rame Italo 575.08 assure une liaison Rome - Florence - Milan. Italo est actuellement le seul cas d'opérateur à grande vitesse en open access en Europe, bousculant Trenitalia. © M. Stellini
Sur le marché régional, il s'agira d'une concurrence pour le marché à laquelle la DB souhaité participer avec sa filiale Arriva, ainsi que l'a annoncé le président de la DB, qui en fait une cible prioritaire.
Sur le marché national, une concurrence sur le marché est l'orientation la plus plausible, mais on sait que la SNCF conservera probablement une position très nettement majoritaire compte tenu des moyens à mobiliser pour pénétrer un marché d'abord organisé sur la grande vitesse. Tout au plus, les Intercités seraient une cible plus accessible, d'autant qu'il y a matière à développer un marché souvent sous-développé.