Les opérateurs fret de plus en plus inquiets
La 7ème édition des Journées Opérateurs Fret de Proximité, le 15 novembre dernier, a été l'occasion une nouvelle fois pour les opérateurs et clients fret de faire entendre leur voix dans un contexte ferroviaire français pour le moins inquiétant. Toujours aussi combatif, Jacques Chauvineau veut « combattre l'idée selon laquelle le fret ferroviaire n'aurait qu'un avenir restreint en France ». Néanmoins, d'autres acteurs étaient un peu moins enthousiastes : « le fret est comme un conours d'haltérophilie : on ne fait qu'ajouter des poids, jusqu'au jour où plus rien ne sera possible ».
Les OFP résistent à la morosité du trafic
Il y a tout de même quelques bonnes nouvelles : les OFP progressent, lentement, mais sûrement. En 2016, ils ont transporté 9 Mt de marchandises, contre 5,3 Mt en 2015. La hausse est importante, spectaculaire même, mais ne se retrouve que marginalement dans les résultats nationaux du fait de divers facteurs qui ont conduit 2016 à être une année inférieure à 2015 en termes de résultats (-5% par rapport à 2015 avec 32,6 MM TK). Les OFP représentent donc maintenant près de 10% du tonnage de marchandises transportées par voie ferrée. Ils représentent 5,5% des trains-kilomètres.
En 2017, on compte 8 OFP territoriaux ainsi que 2 structures en cours de création, 4 opérateurs portuaires, 4 prestataires de gestion de l'infrastructure et 9 prestataires sur les réseaux portuaires. Parmi eux, il faut citer Régiorail qui s'implante dans plusieurs Régions (6 à ce jour) et dont les activités semblent prendre de l'ampleur au point de nécessiter la mise en oeuvre de relations entre centre de productions, passant par le réseau ferroviaire principal. Nous y reviendrons dans un prochain article.
Graveson - 20 août 2014 - Remontant de Miramas à Blainville, ce train Régiorail emmené par la BB 27143 illustre l'essor de l'activité de cet opérateur qui assure désormais la connexion entre des différents pôles régionaux : petit OFP deviendra grand ? © R. Lapeyre
La tarification en une question : veut-on encore vraiment des trains de fret en France ?
En revanche, l'inquiétude est de plus en plus grande quant à l'état du réseau et la tarification de l'usage du réseau ferroviaire : alors que les chargeurs ont pleinement conscience que le train doit être promu comme une solution de référence pour le transport de marchandises sur de longues distances, appelant donc à un rééquilibrage modal, l'Etat est aux abonnés absents, au profit du transport routier.
Le projet de réforme de la tarification du réseau en 2018 ne passe pas auprès des chargeurs, et c'est un doux euphémisme. La position de SNCF Réseau est la suivante : chaque train de fret fait perdre de l'argent au gestionnaire d'infrastructure car son péage ne couvre pas les coûts générés, sachant que l'Etat l'enjoint de viser une couverture du coût complet. Bilan, entre 2016 et 2018, les sillons devraient augmenter en moyenne de 30%, et la nouvelle tarification fondée sur le tonnage transporté devrait se traduire par une inflation de 4,6% par an, à laquelle il faudrait ajouter un triplement du tarif des voies de service.
Saint Jodard - 3 août 2017 - Faire rouler un train de fret en France confine au sacerdoce : sillons pas toujours assurés et de qualité médiocre, travaux bousculant les organisations logistiques, voies de service délabrées, péages en hausse vertigineuse fruit d'une vision financière conduisant à l'impasse. Les opérateurs privés sont agacés des facilités octroyées par l'Etat au transport routier et à sa passivité - voire à sa nocivité - en matière ferroviaire ! © E. Fouvreaux
On voudrait faire comprendre dans le dire aussi explicitement qu'en France, les trains de fret ne sont pas les bienvenus sur le réseau ferroviaire qu'on ne s'y prendrait pas autrement ! Réponse de l'Association Française du Rail, regroupant les opérateurs privés : elle qualifie d' « insoutenable » la tarification présentée par SNCF Réseau, en particulier pour les granulats et les céréales, d'autant plus qu'elle n'est assortie d'aucun engagement sur la qualité des sillons et la disponibilité des voies de service. Comble de l'ironie, la majorité des faisceaux du triage de Hourcade est devenue depuis le début du mois interdite d'accès en raison de la vétusté des appareils de voie... sans solution de repli proposée par le gestionnaire d'infrastructures.
En ligne de mire également, l'Etat, avec un premier rappel sur le faible investissement ferroviaire français, de 50 € / an / habitant contre 350 en Suisse, pointant l'état du réseau principal et le péril imminent sur nombre de lignes capillaires dont l'avenir dépend du bon vouloir des Régions. Deuxième rappel, plus insistant, les opérateurs critiquent les facilités accordées à la route et à les contraintes sans cesse plus lourdes sur le fret ferroviaire. Le troisième vise SNCF Mobilités, accusée de subventions croisées lui permettant de pratiquer des tarifs « hors marché : l'Association Française du Rail, regroupant les opérateurs privés, demande ainsi à l'Etat de transformer SNCF Mobilités en Société Anoynyme afin de clarifier l'origine de ses ressources et assurer la transparence de ses coûts.
En conclusion, un point rassurant : il existe des leviers de relance de l'activité logistique par le rail et certaines entreprises privées y croient et veulent continuer à s'investir dans le secteur. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elles ne reçoivent pas le soutien ni de l'Etat, ni du gestionnaire d'infrastructures, prisonniers de logiques financières dissuasives.