Lyon - Turin : la France confirme
Indispensable : c'est le mot employé par le Premier Ministre Manuel Valls à propos de la liaison Lyon - Turin. Le dossier devrait être présenté, au plus tard le 26 février prochain, en vue d'une reconnaissance par l'Union Européenne du caractère de grand projet éligible au fonds du mécanisme pour l'interconnexion en Europe, doté à terme de près de 27 MM€ de crédits.
Indispensable mais avec une opposition qui n'a jamais été aussi forte, et des critiques qui sont appuyées par les différents rapports publiés, le dernier en date étant celui de la Cour des Comptes qui se penche sur la rentabilité réelle des lignes nouvelles, et la situation budgétaire des Etats membres (dont la France et l'Italie) mais aussi du système ferroviaire français.
Dans notre précédent billet sur le sujet Lyon - Turin, le 18 décembre 2013, nous évoquions l'écart entre la situation de référence à la genèse du projet et la réalité de la situation actuelle. Quelques chiffres aideront à affiner ce point de vue.
- Entre 2005 et 2012, le trafic de poids lours entre la France et l'Italie a baissé de 22%.
- Sur le "corridor D" du réseau ferroviaire trans-européen, ne circule qu'un seul aller-retour entre Barcelone et Milan, assuré par HUPAC.
- La ligne actuelle de la Maurienne n'est pas saturée : 2,7 Mt annuelles transportées en 2012 contre 10 Mt en 2001.
- Le profil difficile de la ligne actuelle n'est pas un handicap à la performance du transport ferroviaire si on la compare aux lignes suisses : sur les lignes historiques du Lotschberg et du Gothard, on comptait 165 trains de fret / jour avant l'ouverture du tunnel de base du Lotschberg et le tonnage annuel atteignait 17 Mt sur cette ligne. Deux types de train étaient formées : 1700 t avec une UM de Re4/4 en tête et une Re4/4 en pousse, ou 2000 t avec une "Re20/20" composée d'une UM de Re6/6 en tête et d'une UM de Re4/4 en queue. C'est bien par la saturation de la capacité de l'infrastructure qu'est apparu le besoin d'une ligne nouvelle, plus que par l'inaptitude structurelle de l'itinéraire au transit de fret. Côté français, c'est donc plus la médiocre qualité du service ferroviaire et surtout la désindustrialisation des économies française et italienne qui a généré la chute - tous modes confondus - du trafic fret en Maurienne.
- Le modèle économique des déplacements de voyageurs est à réexaminer au vu du développement important du trafic aérien low cost. Dans les conditions actuelles, le rail peut-il supporter économiquement les 7 allers-retours Paris - Milan et les 4 allers-retours Lyon - Milan annoncés dans le projet de la Transalpine ? Les bénéfices sur les liaisons françaises intérieures (desserte de Chambéry, Grenoble et Annecy) suffisent-ils à justifier la ligne nouvelle ? L'essor des TERGV envisagé au début du siècle est-il toujours d'actualité vue la situation pécunière des Régions ?
Mais surtout, on soulignera que les 26 MM€ de ce projet pourraient apparaître indécents par rapport à la situation actuelle du réseau ferroviaire français. Les 100 M€ engagés pour la poursuite des travaux de reconnaissance sous les Alpes représentent 5 fois la dépense nécessaire pour maintenir le réseau capillaire de fret en France, qui contribue à plus de 75% du rôle du rail dans le transport de marchandises en France...
Dans notre billet du 18 décembre 2013, nous indiquions que Lyon - Turin arrive peut-être trop top par rapport à la réalité de la situation. Peut-être est-ce finalement trop tard ?