La réforme ferroviaire et après ?
Une réforme et 3 EPIC
Désormais adoptée et promulguée, la réforme ferroviaire prendra effet au 1er janvier 2015. Menée au pas de charge, la discussion parlementaire a fait évoluer à la marge le texte initial. Principales évolutions, le renforcement de l'indépendance de l'ARAF et la création d'un Versement Transport Intersticiel au profit des Régions, pour dégager de nouvelles ressources. Déclinaison périurbaine du Versement Transport bénéficiant aux réseaux urbains, il devrait apporter des ressources supplémentaires pour les trains régionaux, une décision positiveréclamée de longue date par le GART du fait de la baisse des dotations d'Etat.
Ainsi donc naîtront trois nouvelles entités :
- SNCF, alias l'Etablissement Public Industriel et Commercial dit "de tête" qui regroupera les fonctions transversales et qui aura notamment en charge la cohérence du système ;
- SNCF Réseau, résultat de la fusion entre RFF, la DCF et SNCF Infra, le coeur de la réforme, c'est à dire entre la maîtrise d'ouvrage et la maîtrise d'oeuvre de l'infrastructure et de la circulation des trains, soit environ 80000 personnes, dont les 1500 de RFF ;
- SNCF Mobilités, c'est à dire l'opérateur, qui conserve la gestion des gares, sujet qui fut discuté mais - trop - rapidement évacué. Il commence à se murmurer que l'entité pourrait prendre un nouveau nom...
Mais la réforme ne fera pas tout. Encensée par la politique, parée de toutes les vertus médiatiques, après Brétigny, Denguin, la non-affaire des TER trop larges et une ponctualité toujours aussi médiocre, ceux qui considèrent que la réforme ferroviaire constitue l'alpha et l'oméga de la politique des transports se trompent lourdement et pourraient être considérés comme les fossoyeurs du rail français. Elle n'est tout au plus qu'un levier... et on pourrait presque affirmer avec certitude que sa contribution à l'évolution du système ferroviaire restera secondaire à côté des questions de fonds toujours en suspens. La réorganisation des organismes opérationnels ne peut faire oublier l'absence de politique des transports.
Urgences sur le réseau
La situation actuelle du réseau français n'est pas glorieuse. On ne compte plus les centaines de kilomètres de ralentissement pour cause d'infrastructure à bout de souffle et d'héritage de décennies de sous-investissement chronique pour développer le TGV qui, il faut bien le reconnaître, a permis d'éviter un sort encore plus funeste au réseau... mais avec les effets pervers d'une trop grande focalisation politique, et donc budgétaire, en sa faveur. Les cheminots ont fréquemment pointé du doigt la situation au Royaume Uni où la privatisation des chemins de fer initiée par le gouvernement Major a conduit a une désintégration dramatique, qu'une renationalisation et une décennie d'investissements colossaux a permis de rattraper. En France, sans la privatisation, on est arrivé à peu près au même résultat : il serait complètment déplacé de faire une course au nombre de victimes d'accidents, mais sur le fond, la France a connu le même désinvestissement sur l'infrastructure, la même perte de savoir-faire que de l'autre côté de la Manche. Moralité, public et privé peuvent aboutir à la même impasse.
La rupture est donc indispensable, mais à trop tarder, elle n'en sera que plus brutale et plus difficile à mener tant elle doit affronter le poids de l'inertie. Redresser la barre, réapprendre à faire correctement du chemin de fer, renouer avec les bonnes pratiques d'une exploitation rigoureuse, passer du discours sur la priorité aux trains du quotidien (90% des usagers quotidiens ne sont pas dans des TGV) à la pratique, c'est tellement plus difficile que de se laisser bercer par le fil des jours, tous marqués par leur petite pression politique en faveur de tel ou tel sujet : le TGV du futur, des lignes nouvelles, une autoroute ferroviaire, ou tant d'autres sujets qui font nettement mieux dans la presse quotidienne régionale pour la notoriété d'un élu local que la rénovation d'une ligne au prix de mois de travaux pénibles pour les usagers.
Bondy - 13 mars 2014 - Une rame TGV Euroduplex approchant de Paris Est. Le symbole de l'industrie ferroviaire française est aujourd'hui au centre des débats sur la gouvernance ferroviaire : l'état de délabrement de certaines parties du réseau résulte de choix politiques et budgétaires qui ont fait la part belle à la grande vitesse. © transportrail
Fréquentation des TGV et des Intercités en baisse, explosion du déficit d'exploitation de ces derniers, incertitudes sur leur renouvellement, TER à bout de ressources, fret toujours naufragé du rail, écotaxe absente : autant de sujets ô combien structurants pour lesquels la réforme ferroviaire n'apporte aucune réponse. Le risque serait de voir l'Etat s'en contenter et considérer que "le boulot a été fait" en matière ferroviaire sur le quinquénnat. Ce ne serait pas surprenant tant l'Etat est absent. L'Etat est-il encore stratège... ou plus simplement encore compétent pour tracer la ligne de conduite à ses 3 nouveaux EPIC issus de la réforme. La position de l'Etat reste continue : beaucoup d'effets de manches et de petites phrases pour les médias, mais la politique de l'autruche comme fil d'Ariane. Ah si quand même : on continue d'investir à fonds perdus sur le Lyon - Turin. Il n'y a pas plus important ?
Y-a-t-il un pilote dans le train ?
Depuis trop longtemps, l'Etat est attendu, car il a quand même un rôle déterminant dans le système ferroviaire, sauf à laisser faire les techniciens, ce qui ne serait peut-être pas la pire des solutions pour traiter la question de la dette et de la sélection des investissements, mais une petite entorse aux principes de la démocratie représentative... mais au fait, où est la défense de l'intérêt général aujourd'hui ? On voit bien que la réponse n'est pas simple puisque les parlementaires sont tiraillés entre leur fonction nationale et leur mandat local. Le parlementaire national peut approuver des dossiers que l'élu local condamne quand il concerne "son" territoire. Le renforcement du principe de non contribution de RFF... pardon, SNCF Réseau... à des projets qui augmenteraient la dette résistera-t-il à l'épreuve des faits. Saura-t-on dire "stop" à certains projets dont on sait qu'on a un peu arrangé le bilan socio-économique pour qu'il apparaisse neutre ou positif ?
Mézerac - 23 juillet 2014 - Un autorail X73500 performant et confortable sur la ligne Rodez - Séverac le Château, dont on aperçoit en arrière-plan un des tableau de vitesse peu flatteur : 75 km/h pour les autorails et 40 pour les autres circulations. L'exemple d'une infrastructure usée sur laquelle les trains doivent rouler plus lentement pour moins fatiguer une voie dégradée... © transportrail
A trop rester la tête dans le sable, la France se refuse à l'ouverture du marché ferroviaire intérieur alors que les voix ne manquent pas, politiques, techniciens, usagers, pour la demander, à condition qu'elle soit régulée par des autorités organisatrices fortes. La SNCF se replie sur elle-même pour ne pas voir la réalité en face : son auto-promotion de "leader mondial de l'excellence ferroviaire" n'arrange rien. Les annonces du ministre du redressement productif sur le TGV du futur non plus.
Le système ferroviaire français avait besoin d'une réforme mettant fin au partage ubuesque de l'infrastructure entre RFF et SNCF Infra. Maintenant, c'est tout le reste qui doit commencer avant qu'il ne soit trop tard :
- clarifier la liste des projets de lignes nouvelles à réaliser et stopper ceux qui ne seront pas retenus : même s'il ne s'agit que d'études, autant mobiliser les moyens humains et matériels sur du concret ;
- à l'occasion de la nouvelle convention sur les TET, redéfinir complètement la consistance, l'organisation et les moyens de ces dessertes, en cohérence avec l'offre régionale et la réforme territoriale aboutissant à la création des 13 super-régions : faire en sorte que la SNCF ne soit plus l'AOT de fait, tant sur les trains de jour que de nuit ;
- préparer de nouveaux schémas régionaux de transport en cohérence avec la réforme territoriale et la future suppression des Départements, occasion unique de coordonner efficacement les offres ferroviaires et routières ; moratoire sur les projets de déferrement d'infrastructure pour les lignes encore connectées au réseau ouvert à la circulation ;
- concentrer les activités de SNCF Mobilités sur le transport ferroviaire et stopper les développements auto-concurrentiels routiers, ou une politique agressive envers les autres opérateurs (exemple IDBUS Marseille - Barcelone en concurrence avec les TGV opérés par la RENFE sur la même liaison, dans le cadre d'un partage des dessertes TGV franco-espagnoles)
- engager la discussion sur l'expérimentation de l'ouverture du marché ferroviaire intérieur selon le principe de la délégation de service public, parfaitement compatible avec le règlement européen : reproduire le mécanisme qui a été initié en 1997 sur la régionalisation ;
- amplifier l'effort sur la rénovation du réseau ferroviaire et faire la transition écologique dans les faits un peu mieux qu'avec le débat sur une autoroute au milieu du marais poitevin. A noter quand même la petite phrase de la ministre de l'écologie qui vient de présenter la loi de transition énergétique, à l'époque pas si ancienne où elle présidait la Région Poitou-Charentes : "on a fait suffisamment pour le rail en Poitou-Charentes, maintenant il faut s'occuper des routes". La rénovation concernera les grands axes, mais aussi le réseau capillaire fret dont les besoins sont anecdotiques comparés aux dépenses menées sur des projets illusoires, surtout avec la mise en oeuvre d'un référentiel de maintenance adapté à ces lignes à faible trafic journalier ;
- pour le fret, développer le principe des opérateurs fret de proximité et de prestataire de gestion de l'infrastructure ;
- en Ile de France, accélérer avec le STIF le renouvellement du réseau RER qui sera fortement sollicité à l'ouverture des premières sections du métro du Grand Paris porté par l'Etat.