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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires
16 juin 2014

La réforme ferroviaire sur le grill

Réformer une réforme - volontairement ? - inachevée

Au sixième jour de grève à la SNCF et à la veille du passage en première lecture à l’Assemblée Nationale du projet de réforme ferroviaire, la mobilisation contre le projet reste forte. Après avoir été opposés en 1995-1996 à la séparation – partielle – entre l’exploitant et le gestionnaire d’infrastructure aboutissant à la naissance de RFF, les organisations syndicales s’opposent au projet de réforme qui vise à constituer un gestionnaire de plein exercice des infrastructures en réunissant tous les métiers au sein d’une seule entité, laquelle serait séparée des métiers d’opérateur et de gestionnaire des gares, tout en faisant partie du même groupe public. En résumé, l’Etat propose un système ferroviaire à 3 entités (SNCF, SNCF Réseau, SNCF Mobilités) contre 2 aujourd’hui : « choc de simplification » avez-vous dit ?

Une réforme est pourtant nécessaire et même indispensable : l’entité hybride que constitue le « gestionnaire d’infrastructure délégué » (SNCF infra) par lequel RFF est obligé de passer est une source majeure de perte d’efficacité et de surcoûts. Dans un système ferroviaire plombé par 44 MM€ de dette, l’équation économique est cruciale pour l’existence même d’un réseau voies ferrées en France. La réforme partielle de 1997 était restée au milieu du gué afin de ne pas trop froisser les organisations syndicales.

Il est temps d’achever le processus, pas tant parce que les directives européennes l’imposent, mais parce que le bon sens légitime le principe. Rien à voir avec la crise d’hystérie collective, semble-t-il initiée par certaines Régions, autour des rectifications de quais avec les nouveaux matériels, ou avec les enseignements de l’accident de Brétigny l’été dernier.

L’objectif de l’unification de l’infrastructure est donc technique, au travers d’une meilleure efficacité de la structure au service de la modernisation du réseau, et financière en parvenant à maîtriser la dette et les coûts des projets, pour les rendre plus soutenables pour les collectivités les projets de développement en Régions. Si le récent audit mené en PACA – qui démontrait que seul 25% des coûts présentés par RFF pour la réouverture de Saint Auban – Digne étaient justifiés – est peut-être un peu réducteur, du moins avait-il pour avantage de poser la question d’un manque de justification des coûts présentés.

Des intérêts contradictoires

Plus délicate est la question de l’intégration de l’opérateur et du gestionnaire d’infrastructure dans le même établissement public. Dans le monde ferroviaire d’aujourd’hui, les intérêts du premier et ceux du second ne sont pas strictement identiques.

Le premier cherche à réduire sa dette, qui augmente mécaniquement de 4% par an, hors créations de nouvelles LGV, et à faire circuler un maximum de trains sur l’ensemble du réseau.

Le second cherche surtout à faire circuler ses trains d’abord, et de préférence le moins possible pour avoir une rentabilité maximale de la place offerte. En voulant s’autoproclamer comme « la référence mondiale en matière de service de mobilité », la SNCF mise aussi sur ses autres activités, notamment routières : la SNCF est de fait de moins en moins un opérateur ferroviaire. La contradiction est flagrante.

Et quand la SNCF considère que le projet d’entreprise du gestionnaire d’infrastructure devra découler de celui de l’opérateur, on ne peut être qu’inquiet pour l’avenir du transport ferroviaire en France, puisque celui-ci ne cache plus son militantisme avéré pour l’autocar (avec IDBUS ou ses propositions auprès des Régions pour nombre de TER). Le gestionnaire d’infrastructure, doit donc être doté d’un projet autonome, plus large que celui de l’opérateur principal, si le transport ferroviaire veut pouvoir disposer d’outils de reconquête.

Il serait illusoire de croire que le retour à la « bonne vieille SNCF d’antan » serait le seul moyen de renouer avec l’efficacité du système ferroviaire, puisque de 1938 à 1997, la SNCF a certes eu quelques beaux succès, mais ses considérations techniques et économiques ont tout de même conduit à la disparition de 50 000 km de voies ferrées. Qui plus est, au sein de l’ancienne SNCF, les métiers de l’infrastructure et d’exploitation étaient déjà clairement séparés, y compris dans les mentalités.

La réforme de 1997 et ses vertus

Pourtant, la réforme de 1997 avait eu quelques avantages. En créant RFF, alors établissement de gestion de la dette, la France avait pu se qualifier pour la monnaie unique européenne.

Ferroviairement parlant, la montée en puissance de RFF a permis de faire émerger un nouvel acteur et de créer une troisième voix entre les Régions et la SNCF, de faire entrer de nouveaux opérateurs de fret qui ont permis d’éviter – ou du moins de retarder – le naufrage de cette branche d’activité, voire, selon l’avis de certains élus régionaux, d’avoir un dialogue plus ouvert et plus prospectif sur le devenir du transport ferroviaire en France.

Autre exemple : sans RFF, il est probable que le cadencement n’aurait pas vu le jour en France. Lorsque la Région Rhône-Alpes y a travaillé dès 2001, elle s’est heurtée à l’opposition systématique de la SNCF, avant que celle-ci ne s’en arroge la paternité en 2007.

La création de RFF a eu au moins cet avantage de montrer que l’infrastructure était un véritable métier avec son propre projet, même si la logique « faisons de l’infrastructure et on verra ensuite ce qu’on y fait rouler » a eu du mal à quitter les esprits des décideurs : en atteste le catalogue de lignes nouvelles issues du SNIT d’octobre 2011, dénué de toute connexion avec l’impact sur la dette ferroviaire. C’est d’ailleurs un des axes centraux de la réforme ferroviaire que de renforcer l’article 4 de RFF, destiné à empêcher la formation d’une nouvelle dette et la préservation des gains de productivité au sein du gestionnaire d’infrastructure tant que le système produit de la dette.

Les gares restent pour l’instant à quai

Si la réforme ferroviaire prévoit de fusionner la gestion du patrimoine foncier et immobilier de la SNCF et de RFF, le statu quo quant à la gestion des gares a été acté par le gouvernement, alors que nombre de voix, y compris parmi des députés fins connaisseurs du sujet, considèrent que les gares doivent intégrer non pas l’opérateur mais le gestionnaire d’infrastructures. La SNCF y est opposée car c’est un moyen pour elle de limiter à la portion congrue la concurrence et surtout, c’est un centre de profit à haute valeur ajoutée, alors même que le TGV ne nourrit plus les caisses de l’exploitant et que les Régions surveillent de plus en plus près l’utilisation de leurs subventions.

A l’inverse de la tendance européenne, comme en Espagne ou en Suède, ou les gares sont dans le gestionnaire d’infrastructures, la France se singulariserait par ce choix hybride, qui probablement ne tiendra que jusqu’au jour où des opérateurs de voyageurs viendront s’installer de façon plus visible que l’unique train de nuit de Thello.

La question du statut

Sujet sensible à la SNCF, la préservation du statut cheminot des agents SNCF transférés au gestionnaire d’infrastructure constitue l’un des principaux arguments de mobilisation, allant bien au-delà de ce seul domaine puisque les agents de conduite, bien que non concernés par la réforme, se mobilisent aussi pour la préservation du statut.

De leur côté, les opérateurs alternatifs sont favorables à un cadre social cohérent à condition qu’il ne soit pas calqué sur celui de la SNCF. Leur message est clair : si tel était le cas, ils envisageraient leur retrait du marché français. De quoi mettre quelques dizaines de milliers de camions en plus chaque jour sur nos routes… récupérés par Geodis, filiale de la SNCF ?

Inversement, le statut cheminot serait-il plus profitable aux actuels employés de RFF, la plupart sous contrat de droit privé ? Certes, la plus forte proportion de cadres et leur petit nombre (1500 soit 100 fois moins qu’à la SNCF) ne rendent pas leur parole très audible…

Du service public ferroviaire et du rôle de l’Etat

En outre, on rappellera le flou dans lequel demeure la notion de service public ferroviaire puisque la Loi d’Orientation des Transports Intérieurs de 1982 n’évoque qu’un « droit aux transports ». Elle précise dans son article 2 que « la mise en œuvre progressive du droit au transport permet aux usagers de se déplacer dans des conditions raisonnables d’accès, de qualité et de prix ainsi que de coût pour la collectivité, notamment par l’utilisation d’un moyen de transport ouvert au public ». Autant dire un flou quasi-total : le droit français ne sait définir ce qu’est le service public ferroviaire. En la matière, la régionalisation a permis de le définir par convention en faisant des Régions des autorités organisatrices. L’Etat est devenu AOT lui aussi, mais de façon plus souple et sur un champ limité aux « Trains d’Equilibre du Territoire », et avec une plus faible capacité à redresser l’offre qui lui incombe, contrairement aux Régions.

La question du rôle de l’Etat n’est pas négligeable dans le débat actuel. C’est à lui de fixer une véritable politique et une programmation des projets de transports nationaux. C’est à lui de donner le pouvoir aux Régions de dessiner le développement de leur territoire au travers du transport ferroviaire. C’est à lui de définir la consistance de l’offre ferroviaire nationale. C’est à lui de poser les règles du système, y compris pour l’ouverture du marché : à ce titre, il n’est plus question de savoir s’il faut ou non autoriser de nouveaux opérateurs, mais plus de savoir quand et comment.

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Commentaires
B
"Mais juste au moins pour être posé dans le débat, n'est-il pas illusoire de croire que la CONCURRENCE est le SEUL moyen pour faire quelque chose d'efficace, en toute circonstance, y compris dans un domaine qui relève à l'évidence du monopole naturel ?" Cette notion de monopole naturel me parait nouvelle dans le débat économique. <br /> <br /> <br /> <br /> Pour avoir passé un peu de temps en Allemagne, on peut voir que la concurrence apporte un peu d'innovation mais surtout pousse le monopole à se bouger au risque de voir partir les concessions chez un concurrent.<br /> <br /> <br /> <br /> Enfin les régions françaises, horriblement ultra-libérales, demandent cette mise en concurrence pour pouvoir mieux connaître et maîtriser leurs coûts.
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S
Vous dites "Il serait illusoire de croire que le retour à la « bonne vieille SNCF d’antan » serait le seul moyen de renouer avec l’efficacité du système ferroviaire". Et pourtant, avec le décervelage médiatique qui a lieu depuis le début de la grêve des cheminots (et en fait depuis plusieurs années) où on entends toujours le même son de cloche, il serait fort et indépendant d'esprit tout de même celui qui continue à croire à ce que vous appelez "illusion".<br /> <br /> <br /> <br /> Mais juste au moins pour être posé dans le débat, n'est-il pas illusoire de croire que la CONCURRENCE est le SEUL moyen pour faire quelque chose d'efficace, en toute circonstance, y compris dans un domaine qui relève à l'évidence du monopole naturel ? <br /> <br /> <br /> <br /> Quant au credo que "de 1938 à 1997, la SNCF a (...) conduit à la disparition de 50 000 km de voies ferrées", il est un peu facile tout de même si l'on fait fi que dans le même temps, l'Etat a considérablement amélioré la compétitivité du mode routier et que c'est l'Etat lui même qui pilotait cette politique de fermeture. Car si l'Etat est contre et que le PDG de la SNCF est pour cette politique de fermeture, il lui suffit de changer de PDG.<br /> <br /> <br /> <br /> Alors comparons ce qui est comparable. Si on prends l'axe Marseille Nice, la SNCF en a par exemple fait l'electrification. Qu'a produit le duo SNCF/RFF depuis 1997 ? 8 km de 3è voie entre Antibes et Cagnes sur Mer sur la ligne la plus utilisée de province : waw, quelle efficacité et quelle anticipation des besoins ! (et pourtant, c'est sous la période SNCF qu'il y a eu la plus vive concurrence introduite par les autres modes avec l'A8, A50, A57 et les liaisons aériennes)
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O
Parmi les premières tendances avant le début du débat parlementaire :<br /> <br /> - l'opposition demande la suppression de l'EPIC de tête SNCF et le maintien de l'appellation RFF pour le gestionnaire d'infrastructure. Le statut d'EPIC garantit selon la droite la notion de service public.<br /> <br /> - la majorité préconise de confier la présidence, et non la vice-présidence, du directoire de l'EPIC de tête SNCF au président du gestionnaire d'infrastructure, alors que le président de l'opérateur serait maintenu à la tête de l'EPIC de tête<br /> <br /> - les radicaux demandent que les AOT obtiennent autant de représentants que l'Etat dans le conseil de surveillance<br /> <br /> - le rôle de l'ARAF suscite des clivages notamment par rapport à la création d'un haut comité des parties. Le député socialiste rapporteur du projet de loi propose de le scinder en un premier groupe centré sur les usagers, autorités organisatrices, constructeurs, et un second centré sur l'ensemble des opérateurs utilisant le réseau ferré national<br /> <br /> - le positionnement de Gares et Connexion devrait être évoqué a minima<br /> <br /> - la question de la dette ne trouve pas de solutions pour l'instant
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A
Même si on souhaite mutualiser, la réforme ne résout pas tout le problème de la dette ferroviaire. J'entends souvent le principe du discours que la libéralisation permettra de faire circuler plus de trains et donc augmentera les recettes de RFF (puis SNCF Infra).<br /> <br /> Je doute que ce potentiel permette à lui seul de faire diminuer la dette. Le seul moyen d'y parvenir sera de trouver des recettes supplémentaires pour éviter tout du moins que la dette ne cesse de croître par la suite.<br /> <br /> <br /> <br /> L'écotaxe serait un bon moyen d'y parvenir tout comme augmenter la taxation des sociétés d'autoroute (dont les recettes ont été diminuées !). Mais, l’État semble rester plutôt discret sur ce problème chronique qui plombe RFF.<br /> <br /> <br /> <br /> Pour l'histoire de la SNCF Mobilité qui garde les gares, quand on voit les bénéfices qui en sont tirés, on comprend un peu mieux la logique pour plus ou moins combler la diminution du chiffre d'affaires de la branche SNCF Voyages. La logique serait au contraire de faire comme ce que vous avez dit sur Espagne où l'ADIF s'occupe de la gestion des gares. Les bénéfices d'exploitation pourraient là-aussi apporter des recettes supplémentaires à la future entité SNCF Infra.<br /> <br /> <br /> <br /> J'avais aussi lu quelque part que l’État ne voulait pas faire passer le statut de la SNCF/RFF d'EPIC en SA justement à cause de la dette qui serait comptabilisée en dette d’État. Cela permet de "mieux" respecter le "pacte de stabilité". Pourtant, tous les autres États européens ont épongé les dettes et remis à plat tous les système comme en Allemagne.<br /> <br /> <br /> <br /> Pour l'histoire des nouvelles LGV, la bible TGV reste très tenace...
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