Matériel roulant : une affaire de gabarit
C'est la révélation du jour de nos médias favoris, suivant un article d'un hebdomadaire satirique, dont on ne savait pas jusqu'à ce jour qu'il faisait foi en matière ferroviaire, au point que les présidents des deux EPIC sont montés au créneau pour un exercice de communication toujours difficile quand il s'agit de faire un peu de sensationnalisme pour réveiller les français au petit matin.
"La SNCF a commandé des trains trop larges et ça va coûter 80 M€" : voilà en substance le message entendu ce matin sur les différentes ondes et dans les journaux.
Sauf que la vérité est un peu plus complexe que ce "scoop".
Non, la SNCF n'a pas commandé de trains trop larges. Le cahier des charges du Régiolis et du Régio2N, comme ce fut le cas précédemment avec le Francilien, a indiqué le gabarit admissible par le réseau ferroviaire français et les normes de maintenance de la voie. Jusque là, rien à dire.
Bordeaux Saint Jean - 4 juillet 2013 - Le Régiolis exporte des contraintes de gabarit, notamment en partie basse, sur l'infrastructure et révèle l'ampleur de décennies de maintenance insuffisante sur les quais du réseau ferroviaire. © S. Meillasson
Or, le vieillissement du réseau fait que la voie, mais aussi quantité d'ouvrages d'art et les quais, ont tendance à bouger, sans que cela mette en péril la sécurité des voyageurs. Simplement, une voie qui supporte des trains faisant entre 17 et 22 tonnes par essieu, posée sur du ballast, a naturellement tendance à bouger, verticalement et transversalement. C'est physique.
Ce qui devient plus problématique, c'est quand les nouveaux matériels roulants, pour améliorer le confort à bord (sièges et couloirs plus larges) vont chercher les limites admissibles du gabarit. Ces nouveaux trains révèlent les "non-conformités latentes de l'infrastructure". Pourquoi latentes ? Tout simplement parce que les anciennes générations de matériel étaient plus étroites, sans optimiser l'usage du gabarit. Par exemple, en Ile de France, la Z2N fait 2,82 m de large avec des caisses longues de 26,4 m. En revanche, le Francilien, avec ses caisses de 13,2 à 16,5 m atteint 3,06 m de large. Ce qui ne se voit pas au passage d'une Z2N se voit au passage d'un Francilien. C'est la même chose avec le Régio2N... et de façon plus subtile avec le Régiolis : ce dernier est, à hauteur d'épaule de voyageur, plus étroit que son prédécesseur l'AGC - 2,85 m au lieu de 2,95 m - mais un peu plus large que celui-ci en bas de caisse. Les problèmes commencent...
Luzarches - 12 décembre 2009 - L'arrivée du Francilien en Ile de France avait déjà révélé les non conformités latentes de l'infrastructure. Des corrections ont été apportées tant au niveau de la voie (reprise de la géométrie horizontale et verticale) que sur les quais, soit en profitant de leur rehaussement soit par rescellement et sciage des bordures. © transportrail
... mais contrairement à ce que certains vont se complaire à raconter, surtout dans un contexte marqué par le projet de réforme ferroivaire, ce n'est pas la faute de RFF : dit autrement, les quais n'ont pas commencé à se rapprocher de la voie en 1997 lorsqu'on a partagé la SNCF historique. Jadis, le service "Voies et Bâtiments" avait la responsabilité de l'entretien des installations ferroviaires, y compris du bâti, et ce bâti incluait les quais. La priorité d'alors était à la circulation des trains conduisant à privilégier la voie plus que le bâti. Résultat, au fil du temps, l'état des quais s'est dégradé avec en particulier des bordures qui se descellent et s'épanchent un peu trop près de la voie. Mais avec les trains d'alors, plutôt longs et étroits, l'impact était nul ou presque.
C'est une toute autre affaire avec les nouvelles générations de matériel roulant : l'Ile de France a déjà connu le sujet avec le Francilien. Le reste du réseau le découvre avec les nouveaux matériels TER... avec une situation globale de l'infrastructure souvent nettement moins facile à gérer qu'en région parisienne. L'état des quais de nombre de gares n'est pas glorieux et la géométrie de la voie ne l'est parfois pas plus. Ces nouveaux trains ne tolèrent pas ces dérives historiques et appellent donc une "remise à niveau" qui effectivement coûte cher.
Ce petit événement médiatique révèle donc une forme de cloisonnement du système ferroviaire : l'interaction entre le matériel roulant et l'infrastructure reste un point faible. Les directions de l'infrastructure et du matériel roulant exportent réciproquement leurs contraintes sur le voisin, et RFF reste encore à l'écart de ces sujets, et ce d'autant plus qu'il ne dispose pas d'une connaissance exhaustive de l'état du réseau : celle-ci devrait être en principe du ressort du "gestionnaire d'infrastructure délgué", SNCF Infra, qui peine à recoler les données de terrains. La France est d'ailleurs un des seuls pays européens à ne pas mettre à disposition des opérateurs le registre réglementaire des infrastructures et RFF porte en attendant la responsabilité de délivrer des attestations de compatibilité.
D'où la question conclusive : la réforme va-t-elle changer cette situation tout de même peu flatteuse quand on entend parler d'excellence ferroviaire ?
Et en guise d'épilogue : effectivement, pour comprendre le sujet, il faut un peu plus qu'une brève de 60 secondes dans un flash à la radio !