Le bilan de la 1ère année d'exploitation de Ouigo sur Marne la Vallée - Lyon / Marseille / Montpellier, l'offre TGV à très petits prix, apparaît plus que mitigé. Il l'est d'autant plus qu'en la matière, la communication de la SNCF apparaît pour le moins étrange, puisqu'un certain mutisme semble régner au siège alors que les organisations syndicales dressent un bilan en demi-teinte... et qu'un article dans la très sérieuse Revue Générale des Chemins de Fer vante les mérites du projet en faisant silence radio sur le sujet économique. Le quotidien économique Les Echos a pu obtenir des informations un peu plus précises, Le Figaro également.
Si la satisfaction des clients apparaît plutôt bonne, conférant au produit une image positive, le remplissage moyen des trains n'a pas excédé 60%, ce qui a conduit la SNCF à réduire la voilure en supprimant une des 4 liaisons offertes (ne laissant qu'une seule liaison sur Marseille). Le chiffre d'affaires est inférieur aux prévisions réalisées car pour remplir les trains, la SNCF a abaissé ses prix pour attirer un public plus important.
La question centrale est de savoir si les clients de Ouigo ont été pris à la route (ce qui était l'objectif recherché) ou aux TGV classiques. D'après les organisations syndicales, 53% des voyageurs de Ouigo proviendraient du TGV... auquel cas le nouveau produit aurait un peu plus affaibli un TGV frappé de plein fouet par le tassement du trafic, le renchérissement du coût de circulation des trains et une lassitude des voyageurs face aux prix de base considérés - non sans raison en dépit des offres promotionnelles - comme très élevés. Or le service 2014 a déjà été marqué par l'écrémage des relations TGV Intersecteurs avec 8 circulations supprimées sur la seule LGV Sud-Est.
En outre, l'usage des gares de Marne la Vallée et de Lyon Saint Exupéry peut être considéré comme dissuasif pour une clientèle qui n'habite pas ou ne se rend pas forcément dans les franges orientales de l'agglomération lyonnaise. Pour les voyageurs venant du centre des agglomérations parisienne et lyonnaise, il faut ajouter au parcours en Ouigo les 40 minutes (et environ 8 €) de RER A pour atteindre Marne la Vallée, les 25 minutes et 17 € de Rhônexpress pour gagner le centre de Lyon. Enfin, les voyageurs doivent se présenter en gare au moins 30 minutes avant le départ du train. L'addition de ces contraintes peut s'avérer dissuasives, d'autant que le nombre de places au prix minimum de 10 € reste très limité.
Lyon Perrache - 2 avril 2013 - Le premier Ouigo au départ de Lyon Perrache pour Marne la Vallée Chessy, avec la rame 761 arborant la livrée spécifique. Un succès mitigé, mais des perspectives pour l'optimisation du parc TGV. © N. Godin - Lyonrail
En revanche, Ouigo a une vertu sur le plan technique : c'est un laboratoire de recherche grandeur nature sur l'amélioration de l'exploitation de la flotte TGV puisque le faible coût du billet provient avant tout d'une productivité maximale des 4 rames TGV modifiées Ouigo. De ce point de vue, les enseignements qui pourraient être tirées dans quelques années sur la fiabilité et le coût global de maintenance des rames TGV aurait de quoi être particulièrement bénéfique pour la SNCF... quoiqu'on puisse aussi s'interroger sur le dimensionnement pertinent du parc. Selon certains spécialistes, la généralisation des méthodes de maintenance Ouigo sur l'ensemble du parc TGV créerait un sureffectif de 120 éléments environ, soit près du tiers de la flotte.
Confronté à la fracture du modèle économique des TGV (qui provoque un risque réel de disparition des TGV sans subventions d'État), de nouvelles recettes sont à trouver. Cependant, le potentiel de croissance en valeur est très limitée (croissance économique faible, nombre de passagers très haute contribution trop limitée). L'unique issue passe par la croissance en volume. Je n'apprendrai à personne ici que le transport ferroviaire, comme l'aérien n'est rentable que par la massification des volumes vu les investissements colossaux qui sont requis...
Donc comment faire du volume sur TGV ? Cela tombe bien, JR East nous offre, sur un plateau, trois gisements d'optimisation majeurs :
- Passer à cinq places de front en seconde est inéluctable ! L'objectif est de concevoir les nouveaux trains pour offrir le meilleur confort en tenant compte de cette contrainte. Le Shinkansen réussit pleinement cela.
- Réduire le délai de retournement en gare. On ne mesure pas à sa juste valeur, à mon avis, le coût réel des défaillances techniques en terme de perte d'efficience : détentes supplémentaires et temps de retournement longs. Ce qui nécessite plus de trains et plus de voies (33% plus !). Au Japon, les Shinkansen sont retournés en 20 mn chrono en gare centrale de Tokyo, ce qui ne nécessite que 10 voies dédiées là où nous en avons besoin d'une trentaine malgré un volume transporté bien plus faible.
- Assouplir les règles de réservation de place qui sont une contrainte significative à l'utilisation du TGV ; améliorer l'attractivité sur les trajets courts (ex. sur la ligne de la Riviera, ou entre Roissy et MLV). Des indicateurs sur les numéros de place permettent de distinguer les places réservées des places libres.
Effectivement, Ouigo est dans ce cadre le laboratoire d'un fonctionnement plus optimisé plutôt qu'un "business" à part entière. Il faudra cependant beaucoup de courage pour déployer ce nouveau fonctionnement sur le coeur ce réseau, sans attendre d'être au pied du mur !
Il est pour conclure dommage qu'il y ait aussi peu d'articles en Français ou Anglais sur le modèle Shinkansen car son étude se révèle riche d'idées qui permettraient au TGV de retrouver la voie de la croissance.