C'était une grande pratique de la médecine jusqu'au 19ème siècle : la saignée. Aujourd'hui, on sait qu'elle a fait plus de victimes qu'elle n'a soigné de malades. La comparaison mériterait d'être faite avec le réseau ferroviaire français qui, en dépit des ouvertures de LGV depuis ces 30 dernières années, et des projets de réouverture qui se concrétisent très lentement, n'a toujours pas traité les maux dont souffre son réseau régional secondaire. Aussi, à défaut de lui appliquer la bonne posologie, on applique les "recettes d'antan" et leurs effets sont souvent comparables...

La relance d'une politique de déménagement du territoire

Le service annuel 2014 qui débutera le 15 décembre prochain verra l’autocar prendre la succession du train sur plusieurs lignes régionales. Alors que depuis la régionalisation, le périmètre des dessertes ferroviaires avait été pour l’essentiel préservé, hormis quelques fermetures sporadiques en Auvergne ou en Bretagne, plusieurs transferts sont désormais décidés, tandis que d’autres sont déjà dans l’air du temps.

  • Chalons en Champagne – Verdun
  • Mende – Marvejols
  • Sarreguemines – Bitche, entérinant une situation de fait
  • Thionville - Apach

Sont aussi en sursis :

  • Laqueuille - Ussel, dont la fermeture est annoncée à l'été 2014,
  • Millau - Neussargues, c'est à dire la quasi totalité de la ligne des Causses,
  • Aubusson – Felletin, il est vrai limitée à 1 aller-retour par jour,
  • Saint Yrieix – Pompadour (section centrale du second itinéraire Limoges – Brive),
  • Merrey – Culmont Chalindrey,
  • Thionville – Bouzonville,
  • Oyonnax – Saint Claude,
  • Thiers - Noirétable, sur la liaison Saint Etienne - Clermont,
  • Livron – Veynes,
  • Clelles-Mens – Aspres sur Buech

67400usselQuel autre train mieux que le défunt Ventadour ne pouvait illustrer cet article sur le retour des fermetures de ligne ? C'était le train-phare de la ligne Clermont - Brive, mais il y a bien longtemps que les carrés sont fermés sur la transversale, d'autant plus que l'Etat ne reconduit pas le train Lyon - Bordeaux via Montluçon et Limoges. Pour Bordeaux, prière de prendre l'autoroute A89 dont la faiblesse du trafic est de notoriété publique. (carte postale)

Peu de trafic certes, mais peu d'initiatives aussi !

Ces fermetures ont plusieurs origines, le plus souvent communes :

  • faiblesse de la densité de population et donc du trafic pouvant être capté par le rail,
  • médiocrité de l’infrastructure nécessitant un lourd investissement de régénération pour créer un avantage qualitatif (temps de parcours) par rapport à la route,
  • offre squelettique construite pour une dépense minimale mais mal adaptée aux besoins du territoire,
  • manque de stratégie politique sur la valorisation du réseau ferroviaire,
  • blocage idéologique sur le principe d’une expérimentation maîtrisée d’une délégation de service public à des opérateurs autres que la SNCF sur certaines lignes à trafic modeste pour juger sur pièces de possibilités d'optimisation des coûts par voyageur transporté,
  • capitalisation sur des investissements routiers massifs dans les années 1950 – 1990,
  • absence de démarche commerciale de l’exploitant.

Sur Chalons - Verdun, la récente déclaration du maire de Sainte Menehould dans la presse locale est sans  équivoque : il préfère que la Région participe au financement de son centre nautique plutôt qu'au maintien de la desserte ferroviaire.

On retrouve aussi les conséquences des précédentes fermetures menées dans les années 1990, prenant soin de supprimer le trafic sur la section centrale d’une ligne : c’est par exemple le cas de Sarreguemines – Bitche, maillon de l’ancienne ligne Strasbourg – Sarreguemines dont la section Bitche – Niederbronn les Bains fut fermée voici près de 20 ans. Même chose pour Thionville – Bouzonville, maillon de l’ancienne ligne Thionville – Forbach. Même chose pour Laqueuille - Ussel. Avec la menace de fermeture de la section Saint Yrieix – Pompadour, il ne faut guère avoir d’illusions sur les sections Pompadour – Brive et Nexon – Saint Yrieix.

La fermeture annoncée de Laqueuille - Ussel privera Clermont Ferrand de toute liaison ferroviaire avec Limoges, Brive et Bordeaux. L'absence de réflexion interrégionale sur les modalités d'exploitation à coût limité condamne la ligne qui traverse il est vrai des territoires peu peuplés et sans activité économique génératrice de flux suffisants.

Néanmoins, peut-on envisager une politique d'aménagement du territoire dans laquelle des capitales régionales sont privées de desserte visible par transport en commun ? La mise en oeuvre de liaisons bitranches en X73500 entre Clermont et Meymac avec un autorail pour Brive et un autre pour Limoges aurait permis de limiter les coûts d'exploitation. On aurait pu aussi d'appuyer sur les trains maintenus entre Clermont et Le Mont Dore pour proposer un minimum de service. Il n'en est rien : l'autocar n'aura qu'à ramasser les miettes de trafic.

310306_2913brive2Brive - 31 mars 2006 - S'il y a peu de trafic à glaner entre l'Auvergne et l'Arc Atlantique, le faible trafic de l'A89 le prouve, l'organisation du transport public de voyageurs n'a pas fait grand chose pour essayer de proposer un service rationnel à moindre coût... © transportrail

Quant à la translozérienne, Mende ne gardera donc plus qu’un seul accès côté Nîmes. La concurrence des liaisons routières avec l’A75 a fini d’écrémer le trafic sur le versant ouest du plateau.

Des possibilités connues mais ignorées pour relancer le rail

La question de l’autorisation d’une ouverture du marché par le biais de délégations de service public encadrées par les Régions (de la même façon que les agglomérations gèrent les DSP des réseaux urbains) ne peut plus être contournée de façon idéologique : le seul moyen de pouvoir confirmer – ou infirmer – la réalité des écarts de coûts de production du service est de constituer un panel de lignes servant à une expérimentation, de la même façon que 7 Régions avaient expérimenté dès 1997 la régionalisation qui avait suscité à l’époque le même blocage politico-syndical.

La vision avec oeillères de nombre de décideurs régionaux est en partie coupable de cette relance des fermetures : plutôt que de vouloir relancer par le haut le transport ferroviaire en bousculant les préjugés et les dogmes syndicaux, on préfère s'y complaire quitte à contracter le réseau.

On ne peut nier aussi le manque de stratégie de certaines Régions, certes aux moyens modestes et comprimés par les effets de précédentes réformes et d'une conjoncture morose. Néanmoins, en principe, c'est en période de disette que l'innovation a le plus de sens pour justement maintenir une situation existante. L'Auvergne semble limiter sa vision du ferroviaire au mirage de la grande vitesse : mais à quoi servirait une LGV mettant Clermont à 2 heures de Paris, de Nantes par exemple, si pour toute liaison au-delà de la respectable capitale du pneumatique, le temps perdu par l'emploi d'autocars faisait perdre une grande partie du temps gagné grâce à l'hypothétique LGV. En d'autres mots plus crus, à quoi servirait une LGV pour aboutir dans un désert ferroviaire ?

Que dire aussi de Champagne-Ardenne qui préfère l'électrification de Paris - Troyes, dont le bilan socio-économique est négatif pour la collectivité (les quelques minutes gagnées - si elles existent - ne valant assurément pas 270 M€), à la revitalisation de ses lignes secondaires, elles aussi marquées par la difficile desserte d'un territoire de faible densité d'habitat ?

Enfin, ces lignes paient aussi les conséquences de la concurrence entre les offres routières et ferroviaires, mal coordonnées du fait de la dualité d’autorités organisatrices. Nombre de départements développent le tarif unique à 1€ ou 2€ le trajet, complètement déconnecté de la réalité des coûts. De ce point de vue, le regroupement de toute la compétence sur le transport interurbain aux seules Régions, conséquence d’une réforme administrative aboutissant à la suppression des Départements, apparaît d’autant plus évidente. 

Quand la SNCF fait l'article pour la route

Pendant ce temps, plutôt que d’essayer de rendre le réseau ferroviaire plus attractif par une nouvelle démarche commerciale et de nouveaux procédés d’exploitation plus économiques, à commencer par la généralisation du service à agent unique sur l’ensemble des lignes rurales, la SNCF plaide pour la dérégulation du transport interrégional par autocar. Plutôt que d’essayer de rendre le coût du transport ferroviaire plus efficient et d’éviter d’alourdir les charges d’exploitation pesant sur des Régions qui sont aux limites de leurs capacités budgétaires, elle mise sur l’apparence flatteuse de la diversification, de la stratégie de groupe, quitte à « laisser tomber » des branches qu’elle juge mortes… mais pour laquelle on peut douter de son engagement à éviter qu’elles ne se retrouvent dans la situation dans laquelle elles sont aujourd’hui.

D'ailleurs, les mérites d'IDBUS qu'elle a tant vanté à son lancement ne semblent pas être évidents pour le grand public puisque la SNCF annonce une réduction de la voilure de ce produit aujourd'hui largement déficitaire...

Retrouvez notre dossier sur les lignes régionales secondaires.